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    NDD # 78 – «  La critique sociale est un moteur pour moi » – Échange avec Maria Clara Villa Lobos

    Propos recueillis par Alexia Psarolis

    Notre mode de consommation, nos excès, le recyclage… La chorégraphe Maria Clara Villa Lobos n’a pas attendu les marches pour le climat pour s’en préoccuper. Depuis plusieurs années déjà, elle dénonce nos dérives consuméristes avec son esthétique foisonnante et son imparable sens de l’humour. réponses écrites à nos interrogations.

     

    Depuis tes premières créations, tu dénonces la société de consommation, l’industrie de la viande, la profusion des déchets que nous générons… Considères-tu ton art au service de la critique sociétale ?

    Oui, la critique sociale est un moteur pour moi, et ce, dès le début avec ma première pièce de groupe, XL, because size does matter, qui critiquait entre autres l’aspect commercial de la danse, présentant la danse en tant que produit de consommation rapide, comme dans un fast-food. Dans les pièces qui ont suivi, cet aspect est resté toujours plus ou moins présent mais je ne me dis pas spécialement quand je réfléchis à un projet qu’il s’agira de faire une critique sociétale, cela part plutôt de choses qui m’interpellent, me fascinent ou m’inspirent une image, une idée…

    As-tu des attentes auprès des spectateurs (prise de conscience, changement de pratiques…) et si oui lesquelles ?

    Cela dépend. Un spectacle comme Mas-Sacre, avait la volonté de confronter le spectateur à une réalité qu’il préfère ignorer, celle de la cruauté de l’élevage et de l’abattage industriels. Ce cheminement vers cette prise de conscience, je l’ai d’ailleurs moi-même traversé à travers le visionnage de nombreuses vidéos et documentaires lors de la préparation du projet. Dans Alex au pays des poubelles, qui s’adresse au jeune public, j’ai souhaité tout d’abord le faire réfléchir au « pourquoi » et au « comment » nous sommes arrivés à polluer autant notre planète. Et penser au fait qu’il n’y a pas si longtemps nous avions des modes de production et de consommation moins polluants. J’ai surtout l’envie d’éveiller l’esprit critique des enfants face à cette réalité dans laquelle ils sont nés, puisqu’ils n’ont pas connu autre chose.
    Ce sont là deux exemples très clairs, mais tous mes spectacles n’ont pas des messages aussi explicites ; je cherche en tous cas à susciter une réaction, du dégoût, du rire, de l’étonnement…

    Penses-tu que la danse ou l’art en général doive revêtir un rôle social et contribuer à changer les pratiques notamment écologiques ?

    Je ne pense pas que l’art en général doit avoir ce rôle, il existe autant de pratiques artistiques que d’artistes… et il est dangereux, à mon sens, de vouloir donner un seul rôle à l’art. Cela a été le cas souvent dans des régimes totalitaires où l’art avait une fonction claire, maîtrisée et était mis au service d’une idéologie, de la propagande. Chaque artiste est libre de définir ses propres enjeux. Je crois, par contre, au rôle de déclencheur, d’instigateur d’idées et de changement que peut avoir la danse ou l’art en général. Je suis également attirée par ce genre de démarches que je trouve inspirantes ; notamment pendant la recherche autour d’Alex au pays des poubelles, j’ai vu beaucoup d’œuvres d’art sur internet qui dénonçaient de manière originale la pollution des océans dans le but de sensibiliser les gouvernements, les fabricants et les consommateurs à ce vaste fléau plastique. Avec internet, ces œuvres deviennent virales et je pense que cela contribue réellement au changement des pratiques.

    Tes spectacles tournent beaucoup. Certains chorégraphes commencent à renoncer aux tournées. Comment concilies-tu les contraintes écologiques avec tes contraintes artistiques ?

    Cela pose de plus en plus question de faire 10 000 kilomètres en avion pour aller jouer trois fois à l’autre bout de la planète. Cela me pose problème depuis longtemps d’ailleurs, mais il est parfois difficile de refuser l’invitation d’un festival quand cela se produit. Mais cela n’arrive pas si souvent non plus ; la plupart du temps, une camionnette transporte le décor tandis que les danseurs prennent le train.

    La « fièvre » du réchauffement climatique, relativement récente, a vraiment pris de l’ampleur médiatique et sociétale en 2018-19, même si des rapports scientifiques écrits dans les années 70 prédisaient déjà assez précisément ce réchauffement dû aux gaz à effet de serre. Maintenant ce changement est devenu vraiment tangible, vu la récurrence des phénomènes de catastrophes naturelles dans le monde. La détermination d’activistes comme Greta Thunberg, entre autres, a aussi contribué dernièrement à donner un nouveau souffle à cette lutte, et cette prise de conscience amène un questionnement profond de nos modes de fonctionnement, y compris dans le domaine artistique. Depuis la création d’Alex au pays des poubelles en décembre 2016, nous avons vu les festivals faisant de leur thématique principale le développement durable ou l’environnement se multiplier. Nous avons même joué au premier « Festival des déchets » à Brest.

    Paradoxalement, j’ai pu observer qu’il n’y a pas toujours de poubelles pour faire le tri dans les théâtres et que les petites bouteilles d’eau en plastique sont encore légion… Nous avons donc instauré des choses simples, en achetant des gourdes pour toute l’équipe pour sensibiliser les équipes des théâtres à stopper cette consommation effrénée de plastique. •

    Photo : MCVL Alex Au Pays Des Poubelles © DR
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