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    NDD # 78 – Le spectacle vivant à l’heure de la scénographie durable

    Par Rosita Boisseau

    Alerte écologique sur le spectacle vivant. Déclarations médiatisées sur les transports, engagements variés pour donner un coup de frein au speed ambiant, actions tout aussi diverses, claironnées ou discrètes, autour du low-tech et du retour au local, les artistes, les directeurs de salles mais aussi les dirigeants d’associations prennent à bras-le-corps la question de la bascule climatique, culturelle et sociétale que le monde est en train de vivre.

    Parallèlement à une vigilance sur le front de la consommation énergétique des lieux mais aussi des comportements quotidiens à réinventer tant du point de vue du tri des déchets, que de l’utilisation de l’eau…, une attention accrue est portée depuis deux ans à la question des décors et des accessoires. Ce sont eux qui génèrent le plus de déchets et de pollution dans le secteur du spectacle vivant. Contrer les habitudes actuelles de création devient un mot d’ordre : plus question de fabriquer des scénographies pour s’en débarrasser immédiatement après usage ; au contraire, il s’agit de leur inventer de nouvelles vies.

    Des institutions comme le Théâtre du Nord, à Lille, dirigé depuis 2014 par le metteur en scène Christophe Rauck et Nathalie Pousset, ou le Grand T, à Nantes, qui sous la houlette depuis 2011 de Catherine Blondeau a été le premier théâtre français à recevoir le label Lucie en 2017, ont enclenché des réflexions de fond sur les questions de la conception des scénographies, de leur stockage et du réemploi des matériaux utilisés. Tous les deux possèdent en effet un atelier de décors.Avec  1 700 mètres carrés dédiés à la construction, le premier produit une dizaine de scénographies chaque année comme par exemple celles de Julien Gosselin, de Tiphaine Raffier ou de Julie Duclos. Son espace d’accueil a été rhabillé par un sol issu du Don Juan, mis en scène en 2011 par Julie Brochen, ainsi que d’autres éléments, dont des lustres, présents dans certains spectacles de Rauck. « Julie Brochen devait se débarrasser de ce décor et nous lui avons proposé de récupérer ce sol très beau, raconte Nathalie Pousset. L’idée est vraiment de tout faire pour réemployer les choses, ne pas les jeter si elles ne sont pas usées et évidemment de faire baisser les dépenses sur ce terrain. Le sol en bois de Comme il vous plaira, créé en 2018 par Christophe Rauck, se retrouve dans sa nouvelle pièce, La faculté des rêves. Nous veillons par ailleurs à ne pas utiliser de matériaux polluants. »

    Chez le second, ce sont une quinzaine de décors dont certains très imposants comme celui de Thyeste, de Thomas Jolly, qui sortent chaque saison de l’atelier d’une surface de 1600 mètres carrés. Le plancher de la billetterie exemplaire bâtie en 2017 est celui de la pièce La fin de l’histoire, de Christophe Honoré, dont la scénographie a été fabriquée au Grand T. « Nous avons négocié avec Honoré pour qu’il nous le cède, raconte Catherine Blondeau. Nous sommes prestataires de services en général pour les compagnies qui demandent à construire leurs décors chez nous. Dans ce contexte, nous ne pouvons pas imposer un cahier des charges mais nous insistons sur l’éco-responsabilité. En revanche, lorsque nous commandons du mobilier pour notre propre usage comme par exemple pour le festival Tous Terriens, nous veillons à choisir des matériaux réemployables par exemple. » Le Grand T collabore avec des associations locales comme Station-Service, qui propose des accessoires de seconde main, et la Ressourcerie Culturelle, qui répare et revalorise le matériel de spectacle. Parallèlement, Catherine Blondeau participe aussi à un groupe de réflexion avec des membres du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence et du Théâtre national de Strasbourg.

    Mise en réseau et éco-responsabilité

    Cette mise en réseau de plus en plus fréquente autour de l’éco-responsabilité génère de nouveaux comportements et partages. Depuis 2015, le Théâtre national de Chaillot, sous la direction de Didier Deschamps, tente de générer d’autres comportements. Les sièges de l’ancienne salle Gémier sont désormais installés au Point Ephémère, à Paris. Créé en septembre 2019 par la Mairie de Paris, un atelier Économie circulaire & culture rassemble quatre théâtres parisiens : la Gaîté-Lyrique, la Médiathèque des Halles, la Maison des Métallos et le Théâtre de l’Aquarium, dirigé depuis 2019 par la compagnie La vie brève, composée de Samuel Achache, Marion Bois, Jeanne Candel et Elaine Meric. Parmi les projets de la nouvelle équipe : la reconfiguration de l’ancien atelier de construction en « matériauthèque » de 450 mètres carrés où l’on retrouvera les équipements scéniques, accessoires et les quelques 3 000 costumes stockés dans ces locaux historiques. « Nous avons imaginé cet espace en deux temps, explique Elaine Meric. Il y aura, sous la direction d’un chef d’atelier, une sorte de « fablab » pour le bricolage, le matériel de réemploi, qui permettra à la vingtaine de compagnies que nous accueillons en résidence de concevoir des prototypes de décors. Nous allons développer le réemploi en particulier de la serrurerie et du travail du fer ; nous possédons en grande quantité des châssis en métal. Nous allons nous appuyer et collaborer avec la Réserve des Arts, basée à Pantin, qui travaille sur le secteur depuis 10 ans. »

    Ce changement vital qui s’accélère depuis deux ans sur ce terrain et plus généralement dans le secteur du spectacle vivant est aussi propulsé par l’apparition de nouveaux espaces comme celui par exemple de la Maison Forte, fabrique coopérative des transitions, soutenue par le Ministère de la Culture, la DRAC Nouvelle-Aquitaine, la région Nouvelle-Aquitaine et la Fondation Crédit Coopératif. Situé à Monbalen, près d’Agen, ce « tiers lieu », comme le nomme Bruno Caillet, qui y travaille comme coopérateur, est installé dans un bâtiment du XIe siècle entouré de sept hectares de terrain et se veut « espace d’expérimentation et incubateur de projets ». Il croise lieu d’apprentissages, échangeur culturel et artistique… « Nous traversons une crise qui nous oblige à revoir nos modes de vie et ce choc est important, déclare Bruno Caillet. Comment va-t-on assumer un acte poétique sur lequel pourront s’appuyer les jeunes générations dans 40 ans ? Il y a au cœur du projet de la Maison Forte l’ambition culturelle et sociétale d’une civilisation nouvelle. Comment réinventer les ressources, l’habitat, la question du pouvoir ? Le sujet qui nous occupe est bien celui de la réalisation d’un nouvel environnement de représentation et de socialisation. La problématique est donc d’abord passionnément culturelle. » Place donc à l’imagination, à l’adaptation au local et ses ressources contre le gaspillage pollueur à tout va. •

    Photo : Atelier5 © Simon Gosselin
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