NDD # 78 – Une œuvre artistique, un acte citoyen – Entretien avec Éleonore Valère-Lachky
Par Apolline Borne
Se le rappeler, nous le rappeler. Dans Courir les yeux fermés au bord d’un ravin, Éléonore Valère-Lachky nous invite à réveiller un sentiment d’urgence face à la crise écologique.
Son solo est composé d’un geste chorégraphié à partir d’un texte écrit par la chorégraphe, se référant principalement aux rapports scientifiques d’Aurélien Barrau 1, de Pablo Servigne 2, de Baptiste Morizot 3, ainsi qu’à la conférence Transition écologique : quelles solutions pour le monde de demain ? 4. Conçue en automne dernier, née d’un sentiment de désarroi, la pièce fait le constat d’une destruction massive de notre environnement pour enfin dessiner d’autres issues que l’humanité peut encore embrasser.
L’émotion comme levier à la connaissance
« L’idée était de toucher les gens par l’émotion avec mon mouvement mais que cette émotion soit un réel levier à la connaissance. Ce solo est pour moi une œuvre hybride, un acte citoyen qui surgit à un endroit où le public ne l’attend pas : dans les halls de théâtre, les rues, les manifestations. »P our Éléonore Valère-Lachky, il s’agit de penser l’intervention chorégraphique comme un « acte citoyen » adressé à tous et à n’importe quel endroit, plutôt que comme une œuvre artistique conçue pour une salle de spectacle. Moins une représentation qu’une réelle « infiltration » 5, cette danse qui déborde dans un espace non nécessairement clos dessine la trajectoire bientôt ascendante d’une humanité au bord du gouffre écologique. Dans une démarche de sensibilisation, la danseuse souhaite donner les outils d’information à son public en rendant accessibles, sur les sites de diffusion des structures où elle se produit, le texte de son solo ainsi que les différentes sources l’ayant inspirée.
L’engagement face à un présent qui déborde
Un besoin personnel d’avoir un impact sur le monde. C’est cette nécessité et cette exigence qui ont poussé la chorégraphe à teinter sa danse d’une dimension actuelle et à penser son solo autrement qu’un projet exclusivement professionnel. « Pour ce solo, j’avais besoin que ma danse serve plus qu’un intérêt artistique propre. J’ai eu besoin d’utiliser mes outils de danseuse afin de prendre part à ce grand mouvement de révolte et d’espoirs portés aujourd’hui par un grand nombre de citoyens, scientifiques, activistes. J’ai eu simplement besoin de prendre part à cet élan, avec les outils qui sont les miens. » Ce corps mis en scène est finalement générateur d’autres espaces et solutions possibles qui nous invitent à « vivre avec éthique et élégance sur cette Terre ». Son geste retrace la trajectoire d’un corps en mutation partant du sol puis qui se redresse, pour devenir résilient : « Ce que je traverse physiquement avec mon corps dans le solo, c’est partir de nouvelles terribles que nous connaissons pour ensuite amener autre chose. Il était important pour moi de refaire cette trajectoire du redressement.»
Quel impact sur les spectateurs aujourd’hui ? Un nombre limité de spectateurs changerait-il sa manière d’envisager l’adresse du solo ? « À partir du moment où il y a une personne qui regarde, je suis en représentation. Le nombre de personnes n’influe pas. Il s’agit d’un spectacle, donc cela ne change pas l’intensité du message et mon adresse. »
Aujourd’hui, l’artiste envisage d’inscrire ce premier solo dans un triptyque et prépare une nouvelle pièce, en résidence aux Brigittines, qui portera également sur la crise écologique mais dont le message sera moins explicite, plus poétique, « un questionnement sur la signification d’être ici ». •