NDD#81 – Qu’est-ce qu’un tiers-lieu ?
Par Rosita Boisseau
Qu’est-ce qu’un tiers-lieu ? Ouvrez le micro autour de vous pour voir. Silence radio ? Oui. Peu de gens encore connaissent ce terme et épinglent exactement ce qu’il recouvre.
Le terme ouvre large la porte à des images et espaces mouvants. Pour citer Ray Oldenburg, référence en la matière, dans son livre The Great Good Place (1989), « the third place », d’où vient le terme français, est le troisième espace après celui de la maison et du bureau. « C’est un espace intermédiaire entre le domicile et le travail, un lieu hybride permettant les rencontres dans un cadre convivial et accessible, créateur de lien, disait Oldenburg », souligne Stéphane Vatinel, directeur de l’agence Sinny & Ooko, créateur de tiers-lieux depuis 2008. « Autrement dit, un lieu de destination choisie. Il accueille des gens qui ont des profils différents et y viennent pour des raisons aussi très variées : du coworking, du soutien scolaire, une conférence, réparer un objet… Ils y partagent quelque chose en s’y rencontrant par accident. »
L’hétérogénéité signe l’identité plurielle du tiers-lieu. Par les gens qui s’y rendent et par les multiples activités qu’il peut abriter, cet espace possède différentes entrées, qu’elles soient thématiques, culturelles ou artistiques. Pour exemple, les quatre tiers-lieux pilotés par Sinny & Ooko se révèlent extraordinairement éclectiques. La Recyclerie, à Paris, abrite une ferme urbaine, un atelier de réparation, une cantine… Le Pavillon des Canaux, également parisien, affiche un penchant au travail et à la rencontre, avec un accent féministe via le festival Pop meufs. Le Bar à Bulles, situé derrière le Moulin Rouge, la joue culture et musique mais pas que. Située à Pantin, la Cité Fertile affirme une vocation « environnementale, sociale et solidaire ». « Chaque tiers-lieu est en cohérence avec le territoire sur lequel il est implanté et ses besoins, en travaillant par exemple avec les associations locales, poursuit Stéphane Vatinel. Nous défendons en revanche les mêmes valeurs pour tous : environnement, égalité, mixité, culture, féminisme. »
Aux antipodes de Paris et de l’Île-de-France, la Maison de l’Avenir Comminges Pyrénées est un tiers-lieu associatif situé à Saint-Gaudens, ville de 10 000 habitants située en Haute-Garonne. Cofinancée par l’Agence nationale pour la cohésion des territoires, elle a été mise en œuvre par quatre associations, quatre « bâtisseurs » : Afidel (Association Formation Insertion et Développement local), BGE Sud-Ouest, dont le but est l’accompagnement à la création d’activités et d’emplois, les Jardins du Comminges (chantier d’insertion entre maraîchage bio et travaux environnement) et la MJC (Maison des jeunes et de la culture tournée aussi vers la formation professionnelle au numérique). « On s’est rendu compte il y a 10 ans qu’on travaillait mieux ensemble que séparément, se souvient Julie Talbot, chef du projet. On a eu envie de se retrouver dans le même lieu mais quel intérêt si c’était juste pour être entre nous ? On a commencé alors à réfléchir à ce que l’on pouvait imaginer sur le territoire et l’idée d’un tiers-lieu est né. »
Ouverte en 2015, la Maison de l’Avenir rayonne sur tout le sud de la Haute-Garonne. « C’est très vaste et peu peuplé, avec environ 80 000 personnes qui y habitent, poursuit Julie Talbot. C’est un territoire de montagnes, rural, avec un passé industriel en berne, pas mal d’artisans, mais beaucoup de pauvreté et de précarité. Nous avons donc développé le lieu autour de deux axes : le pouvoir d’agir des personnes tourné vers l’emploi et le développement économique et responsable des territoires. L’un ne va pas sans l’autre : l’économie s’appuie sur le soin que l’on prend des gens. » Avec un Répar Café, où l’on peut, comme son nom l’indique, réparer ses vêtements, des ordinateurs mais aussi des vélos, un espace de coworking, un service sur l’accessibilité alimentaire, un programme de rencontres autour, par exemple, de « l’impact écologique du numérique » ou « des métiers de la transition écologique », la Maison de l’Avenir s’attache à mettre en contact des porteurs de projets. « Nous accueillons par exemple dans les mêmes locaux des coworkers et l’École régionale du numérique, ce qui a permis à certains de décrocher des embauches, précise Julie Talbot. Ce sont les joies du décloisonnement. Nous sommes actuellement en train de créer un jardin partagé en collaboration avec le lycée agricole et un centre d’hébergement d’urgence. » Cette ramification permanente des relations entrelace différents réseaux. La Maison de l’Avenir anime celui des 15 tiers-lieux d’envergure très différente qui sont implantés dans le Comminges. Elle est aussi au cœur de celui des Frangines qui rassemble les femmes entrepreneuses en milieu rural. « Nous ne sommes pas dans une logique descendante comme on dit, mais circulaire pour fabriquer de la coopération, affirme Julie Talbot. Notre accueil est inconditionnel. » •