NDD#81 – Communiquer en réseau. Le cas Brussels, dance !
Par Anne Golaz
Malgré la richesse du champ chorégraphique bruxellois, la danse contemporaine semble manquer de visibilité auprès du public belge. Un déséquilibre se crée entre le nombre de créations qui voient le jour chaque année et la demande générée par un public fidèle, nomade mais peu nombreux 1. Un des enjeux du secteur est donc de créer de nouveaux publics pour la danse plutôt que de regretter une « surproduction » artistique.
Depuis 2016, le réseau Brussels, dance ! a pour objectif de mettre en lumière la diversité et le dynamisme de la création chorégraphique auprès du public bruxellois. Chaque année, des partenaires aux profils variés 2 – théâtres, centres culturels, centre chorégraphique, lieux de recherche ou alternatifs, francophones et néerlandophones – rassemblent leur programmation danse au sein d’une campagne de communication commune. La seule condition pour y participer ? Programmer de la danse ou un événement en lien avec l’art chorégraphique durant les deux mois de l’événement. Ainsi, les partenaires ont évolué au cours du temps, variant entre 13 et 16 d’une édition à l’autre. Tous les deux ans, un partenaire différent assure le pilotage de l’événement.
Brussels, dance ! réunit donc un réseau d’opérateurs culturels diversifiés qui, en mutualisant leur programmation, souhaitent notamment attirer l’attention du grand public sur la richesse du champ chorégraphique bruxellois et favoriser la circulation des publics entre les divers lieux qui programment de la danse contemporaine. La campagne de communication s’adresse non seulement aux amateurs de danse et d’arts de la scène mais également à un public non averti 3. Nous pouvons donc nous poser la question suivante : communiquer en réseau a-t-il réellement un impact sur le renouvellement des publics ? Si l’édition 2021 a été marquée par la création d’un outil de médiation autour de la danse contemporaine en Belgique 4, il est question ici d’étudier comment la question des publics est pensée en termes de communication.
Une identité visuelle qui souhaite s’imposer
Tout d’abord, l’attention est portée à l’élaboration d’une identité visuelle marquée et reconnaissable. Les pilotes de chaque édition jouent un rôle crucial dans l’élaboration de la stratégie de communication et ont successivement travaillé sur l’identité de l’événement. Comme le précise Marie Hellin, responsable communication et presse au centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Charleroi danse, chaque partenaire pilote se charge de trouver un nouvel habillage au logo de l’événement. L’idée est de conserver celui-ci d’édition en édition afin qu’il devienne comme une marque de fabrique, comme un label facilement identifiable. En 2016, les Halles de Schaerbeek posent les bases en créant le logo de Brussels, dance ! En 2018, les Brigittines, Centre d’Art contemporain du Mouvement de la Ville de Bruxelles, apportent à la charte graphique des couleurs vives et contrastées ainsi que des effets visuels dans un esprit « contemporain » et « arty ». En 2020, Charleroi danse garde les couleurs vives et intègre des « rubans stylisés censés matérialiser l’idée de mouvement, de circulation des publics propres au projet » 5.
Des supports variés
Si 2021 a été une année particulière, marquée par une campagne 100 % numérique notamment en raison des incertitudes liées à la programmation, la campagne combine en général des supports imprimés et des supports en ligne. En 2020, nous retrouvions la réalisation d’un dépliant reprenant la programmation des divers lieux partenaires, distribué à 9 000 exemplaires, et une campagne d’affichage multi-format qui s’est déroulée durant deux mois dans les rues de Bruxelles et dans le métro. Des stickers aux couleurs de Brussels, dance ! sont posés dans chaque lieu partenaire, accompagnés de produits dérivés (miroirs, sacs, magnets…), afin de signifier son appartenance au projet. Concernant les supports en ligne, un site internet propre à Brussels, dance ! a été créé en 2018. Les réseaux sociaux sont largement investis, avec une attention particulière à Facebook et Instagram. Chaque année, une courte vidéo est réalisée pour annoncer l’événement, réunissant des extraits vidéo de l’ensemble de la programmation. D’après Sandrine Tielemans, responsable de la communication et de la promotion aux Brigittines, c’est un moyen de montrer toute la diversité des spectacles de danse à Bruxelles et d’attirer l’attention du public auprès duquel elle communique sur ce que programment les partenaires de Brussels, dance ! Mais ces actions ont-elles réellement un impact sur le renouvellement des publics de la danse et leur circulation ?
Une évaluation basée sur le ressenti
Mesurer l’impact d’une telle opération n’est pas chose facile. Comme le précisent Sandrine Tielemans et Marie Hellin, les spectacles de Brussels, dance ! font également partie des campagnes de communication mises en place au sein de chaque structure partenaire. Ils sont donc communiqués deux fois et il s’avère difficile de déterminer à quoi sont dues les retombées que l’on pourrait relever. Les partenaires parlent de salles bien remplies pendant la période de Brussels, dance ! et témoignent de l’arrivée de nouvelles personnes entre leurs murs. C’est particulièrement visible dans les plus petites salles, qui voient de nouvelles personnes s’aventurer, le dépliant de Brussels, dance ! entre les mains. Mais ces observations restent épisodiques ou basées sur le ressenti et ne font pas l’objet d’études quantifiables. Concernant la campagne de communication en ligne, les réseaux sociaux et Google Analytics offrent quant à eux quelques données intéressantes. Ce sont les femmes entre 25 et 44 ans qui fréquentent le plus souvent les réseaux sociaux de Brussels, dance ! En 2020, le site internet a reçu 7 662 visites, effectuées à 73,64 % depuis la Belgique et plus particulièrement Bruxelles 6. Sur les deux dernières éditions, le pourcentage de nouveaux visiteurs est en moyenne de 70,08 %. Le nombre d’abonnés sur Facebook et Instagram est en constante évolution, même si cette augmentation tend à ralentir depuis les dernières éditions. Si l’opération Brussels, dance ! participe donc à rendre la danse visible auprès du public bruxellois, il reste difficile de tirer des conclusions sur les habitudes de ce public qui suit l’événement en ligne. A-t-il l’habitude d’aller voir de la danse ? Va-t-il s’aventurer dans de nouveaux lieux grâce à cette campagne ?
Une réflexion est menée régulièrement autour d’un moyen qui permettrait de favoriser cette mobilité des publics. L’idée de proposer un pass Brussels, dance ! donnant accès à différents spectacles revient régulièrement sur la table et permettrait, entre autres, d’avoir une idée du nombre de personnes se servant des supports créés par le réseau pour organiser leurs sorties culturelles. D’autant plus que la circulation des publics est un enjeu de taille. L’analyse de la fréquentation des différents partenaires de l’édition 2017 révèle que les structures néerlandophones réunissaient 69 % du public total des représentations faisant partie de Brussels, dance !, contre 30 % pour les structures francophones et 1 % pour la structure non subventionnée. À quatre, les maisons néerlandophones ont accueilli lors de cette édition plus du double de spectateurs que les sept maisons francophones réunies 7. Cependant, le mise en place d’un tel outil se heurte aux spécificités liées aux billetteries des divers partenaires. Car il y a bien quelques contraintes à travailler en réseau. Au-delà de cette limite, c’est le manque de temps qui s’impose comme l’une des contraintes principales au travail en partenariat. Dans les rapports d’activité il est question d’une baisse d’enthousiasme de la part des partenaires et d’un manque de suivi des actions de communication, pourtant décidées collégialement.
En conclusion, six éditions ont participé à définir l’identité de Brussels, dance ! dans le paysage bruxellois mais il est difficile de quantifier l’impact d’une telle opération sur le renouvellement des publics et leur circulation. Les éditions se succèdent et le simple fait de former un réseau apparaît cependant comme une plus-value qui, d’édition en édition, a généré de nombreux soutiens. Les subsides de l’événement sont passés de 29 800 € en 2016 à 54 950 € en 2020. En 2021, il est subsidié à hauteur de 30 000 €, cette baisse étant, sans trop de doutes, à mettre sur le compte de la situation sanitaire. Brussels, dance ! est soutenu par les différents niveaux de pouvoir, la Région, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Ville de Bruxelles en 2020 (convention non reconduite en 2021). La mutualisation des diverses programmations permet donc d’obtenir des moyens financiers supplémentaires pour communiquer autour de la danse à Bruxelles et conforte les partenaires quant à la pertinence du projet. Le rôle du pilote s’est renforcé au fil des éditions et il est à présent tout à fait acquis qu’en plus d’assurer la coordination administrative il impulse une nouvelle dynamique au projet, réfléchit à la stratégie de communication pour ensuite la soumettre aux autres partenaires. Plutôt que de solliciter une mutualisation des savoir-faire de la part de tous les opérateurs à chaque édition, nous observons davantage une mutualisation sur le long terme porté par les pilotes successifs. Chacun de ces lieux apporte sa pierre à l’édifice et participe à renforcer l’identité de Brussels, dance ! Mais le partenaire pilote ne peut pas faire circuler les publics à lui seul et il y a fort à parier que ce phénomène prendrait de l’ampleur si l’ensemble des partenaires s’impliquaient davantage dans le suivi de la campagne de communication auprès de leur public.
Le choix de développer un univers graphique abstrait peut poser question quant à l’objectif de communiquer sur l’accessibilité de la danse contemporaine. Marie Hellin rappelle d’ailleurs à ce sujet que l’idée d’une campagne d’affichage mettant à l’honneur de grandes photos de danse dans le but d’interpeller un plus large public a été discutée. Une réflexion autour de comment attiser la curiosité de publics moins avertis a donc été amorcée mais pas privilégiée jusqu’à présent. Un beau challenge pour l’opérateur qui reprendra le flambeau dès l’édition prochaine. •