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    NDD#72 « La lumière est devenue un objet plastique » | Entretien avec Simon Siegmann

    Cie Thor Clear Tears/Troubled Waters © Fabienne Louis Scénographie et création lumière : Simon Siegmann

    Propos recueillis par Alexia Psarolis

    Vous avez une formation de plasticien. Comment êtes-vous devenu (entre autres) concepteur lumière ?

    J’étais l’assistant de Michel François, artiste plasticien enseignant à l’ERG à l’époque, ami de Pierre Droulers. Il m’avait recommandé auprès de lui pour monter une exposition. Suite à cela, Pierre m’a proposé un assistanat technique sur De l’air et du vent, j’ai suivi les tournées et appris sur le tas tout en poursuivant parallèlement mon activité de plasticien. Mon premier travail d’éclairagiste-scénographe revendiqué s’est effectué avec le chorégraphe Thomas Hauert pour Cows in Space. Puis les projets se sont enchaînés avec Thierry Smits, David Zambrano, Michèle Anne De Mey…

    Vous avez également conçu les lumières pour des concerts, des shows de mode, le théâtre… Quelle est la spécificité de la danse ?

    Les shows de mode sont ce qu’il y a de plus comparable à la danse car il s’agit de corps en mouvement dans un espace donné, alors qu’au théâtre il s’agit de corps en station dont on doit pouvoir déchiffrer l’expression du visage. On travaille plus sur le dessin de l’espace, sur les lignes dynamiques spatiales de la chorégraphie. Le travail de l’éclairagiste est aussi celui du scénographe qui doit assez rapidement comprendre comment s’organise la chorégraphie au plateau, quels sont les points d’ancrage, s’il y a un centre, des avancées… Toutes ces questions sont des questions de lumière, puis viennent les choix de qualité de lumière, les nuances de blanc, indispensables pour donner du relief ; comme tout artefact au plateau, la lumière vient sublimer la présence des interprètes. En lumière, on peut aussi prendre le parti pris minimaliste et chercher à ne pas faire de lumière. On a identifié des grammaires d’éclairage, sortes de syntaxe, entre le vieux théâtre, la danse contemporaine, des pièces qui se veulent ultracontemporaines à la Jérôme Bel, qui refusent toute variation de lumière…

    Comment se fait cette collaboration chorégraphe-éclairagiste ?

    Les chorégraphes ne connaissent pas forcément les outils, ne savent pas et ne comprennent pas comment on fait de la lumière. Certaines demandes sont difficiles à réaliser parce que déconnectées de la réalité. Dans mon travail avec des chorégraphes, dans la phase de création technique et de mise au point de la mise en scène sur le plateau, j’expérimente mon dispositif pendant quelques jours. Je réalise un squelette de structure de lumières, je crée des images sur la base desquelles nous discutons. Ce processus pourrait être comparé à celui de la composition musicale, notamment pour le rapport au temps.

    Quels liens faites-vous entre éclairage et scénographie ? Les deux se confondent-ils dans le domaine de la danse ?

    En danse, la partie scénographique est moins lourde, plus minimaliste et les deux peuvent se confondre, contrairement au théâtre. Ce qui fait exister le plateau en danse, c’est pour beaucoup la lumière. La danse renferme un aspect purement visuel, non narratif mais quelque chose doit être donné à voir, être ressenti, et pour cela, la lumière est un outil extraordinaire. D’un point de vue pratique, elle sert à éclairer la danse ; d’un point de vue artistique, elle lui donne une qualité visuelle, une présence, et surtout elle sert à rythmer le spectacle, à accompagner la ligne dramaturgique d’une pièce, comme la bande-son. La lumière va travailler sur la temporalité de la pièce, créer des durées.

    De quelle façon ?

    Une fois le dispositif placé, que l’on sait d’où l’on peut éclairer et comment, un des grands moments de la lumière consiste à composer ce mixage entre les différents directions et qualités lumière. Ce moment – celui que je préfère – est lié au temps : étudier si un effet va s’étirer sur cinq minutes ou s’il va apparaître ou disparaître en zéro seconde. L’éclairagiste devient le bras droit du metteur en scène à ce moment-là, lorsqu’il fait des propositions sur le rythme du spectacle, quand on commence à travailler sur une dramaturgie de lumière. La lumière devient alors scénographie. Les moyens technologiques ont fait qu’il a fallu confier les éclairages à une personne autre que le metteur en scène. La lumière est devenue un objet plastique à part entière.

    La lumière, une matière ?

    Il existe différentes qualités et directions d’éclairage selon que celui-ci est de face ou « en contre », ce qui donne des reliefs différents ou lorsque l’on utilise par exemple du néon ou de l’halogène, éclairages domestiques que l’on retrouve également au plateau. Il existe un blanc chaud qui peut avoir plus de concentration ou bien un blanc très froid sans aucune concentration et très diffus. Là, effectivement on manie de la « matière lumière », des qualités lumière qui font partie du savoir-faire de l’éclairagiste. Ce métier est aussi un métier de designer ; on doit être cohérent techniquement, avoir conscience des contraintes techniques, anticiper la faisabilité et la re-faisabilité (le fait que ça tourne, monter-démonter), tout en ayant un geste artistique visuel incontestable et ce, dans le respect des cadres budgétaires. Avec une autre contrainte : le type de matériel disponible.

    Le noir s’invite de plus en plus sur les plateaux. Existe-t-il des tendances, des modes en lumière comme dans d’autres secteurs ?

    Il est vrai qu’il existe un effet de genre comme il a pu y en avoir d’autres. Le travail sur l’hyper-pénombre est due à l’influence grandissante des arts plastiques dans le monde du spectacle et de la danse en particulier, qui ont très bien intégré la réflexion à avoir sur son propre médium. Une des spécificités de la boîte noire c’est d’être noire : que peut-on en faire artistiquement ? L’hyper-pénombre n’est pas qu’un effet de mode mais la prise de conscience de l’outil théâtre, un espace de pénombre. C’est aussi pour cette raison que l’on travaille des cages de scène à nu, avec une volonté de se rattacher à ce qui existe, d’essayer de ne pas tromper le spectateur sur le fait qu’il est en train de regarder une pièce qui se répète devant lui, de travailler sur ses sensations visuelles et auditives. Jan Martens et Brice Leroux figurent parmi les premiers à avoir travaillé la pénombre, à en faire un concept global, affirmant cette double volonté de travailler sur « le pas grand-chose » avec la chorégraphie correspondante (comme Gravitations de Brice Leroux), sur la confusion, la perte de repères… Dans une époque où nous sommes envahis par une surproduction d’images, d’écrans lumineux, c’est une façon de renverser la vapeur. L’enjeu étant, pour les éclairagistes, de faire apparaître l’hyper-pénombre comme un véritable élément visuel, pictural, plastique.

    Qu’est-ce qu’une « bonne » lumière selon vous ?

    Une lumière qui ne sera pas trop bavarde, qui ne va pas trop se faire voir, qui va choisir ses moments pour faire basculer des choses mais qui va essayer de trouver des états qui peuvent s’étirer le plus longtemps possible sur une pièce. Une bonne lumière n’a pas besoin de trop changer, c’est un état lumineux qui ne s’use pas sur la durée de la pièce. En danse, c’est une lumière qui met en valeur les corps, la construction chorégraphique sans créer une surabondance d’effets. En général, les bonnes lumières ne se sentent pas.

    Vous avez travaillé dans différents champs artistiques. Est-ce une question d’opportunités ou recherchez-vous cette hybridité ?

    Cela répond à une envie de diversité, de traverser différents champs de la scénographie – celle dédiée à la danse, au théâtre, à la performance, à la mode, au concert –, de ne pas rentrer dans des automatismes avec une même équipe créative, à un besoin de garder une liberté à travers la multiplicité des rencontres. Pour moi, ce métier est intéressant si je le pratique de cette façon afin de ne pas m’étioler dans une répétition.

    Quels nouveaux territoires artistiques souhaiteriez-vous explorer ?

    L’opéra, même si je pense qu’il est comparable au théâtre dans la façon de mettre en scène, une façon d’aller plus loin sur certains aspects, plus en scénographie qu’en lumières ; poursuivre les scénographies d’expositions, la mode aussi avec de nouvelles collaborations. Les enjeux d’un défilé sont intéressants et beaucoup moins superficiels qu’on ne le croit ; il y a un rapport avec la danse, le corps en mouvement. •

    Simon Siegmann collabore avec la performeuse Gwendoline Robin, dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts. Ils présenteront A.G.U.A. du 17 au 20 mai, aux halles à Bruxelles.
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