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    NDD#71 « Ne pas réduire le hip-hop aux danseurs qui tournent sur la tête »

    Boxe Boxe Brasil©Michel Cavalca
    Entretien avec Mourad Merzouki | Propos recueillis par Alexia Psarolis
    À la tête du CCN de Créteil et du Val-de-Marne depuis huit ans, quelle évolution observez-vous concernant la programmation de spectacles hip-hop dans les lieux culturels, théâtres et CCN en France ?

    Par rapport à d’autres pays, les compagnies de hip-hop sont programmées dans les théâtres français, ce qui est un bon signe quand on connaît l’histoire de cette danse. Il y a 30 ans, on était loin d’imaginer cette reconnaissance des publics et institutionnelle. Il reste encore du travail pour que cette danse soit encore plus présente, il ne faut pas baisser les bras parce que beaucoup de compagnies souhaiteraient montrer leur travail. Mais les choses ne sont pas figées et évoluent. Parmi les compagnies que l’on accueille dans nos festivals Kalypso et Karavel, certaines ont des plans de tournée de 30-40 dates sur l’année, ce qui est bien quand on connaît la moyenne de diffusion de la danse en général, toutes danses confondues.

    Kader Attou a été nommé en 2008 au CCN de La Rochelle, vous en 2009. Vos nominations respectives ont-elles changé le regard que l’on porte sur le hip-hop ?

    Je crois qu’elles ont permis de changer le regard qui pouvait être parfois « expéditif », on parlait d’une danse éphémère, de quartier, de banlieue. Ces nominations ont permis de marquer une véritable reconnaissance des pouvoirs publics ainsi que du public, et de rassurer les acteurs du hip-hop. Et d’accompagner véritablement des artistes à aller plus loin dans leur travail.

    Aujourd’hui, des compagnies sortent du lot, grâce au fait que ces artistes ont pu bénéficier de conditions de travail professionnelles et forcément, cela se ressent sur le plateau. Selon vous, quels sont les chantiers qu’il reste encore à développer ?

    Les chantiers concernent les questions d’accompagnement, de budget évidemment, de lieu et d’outils de travail. Depuis 2008-2009, l’arrivée de deux chorégraphes venant du hip-hop à la tête de Centres chorégraphiques, à la Rochelle et à Créteil, a constitué une étape importante. Nous (avec Kader Attou, ndlr) accueillons beaucoup d’artistes hip-hop dans nos maisons afin qu’ils puissent avoir les conditions nécessaires pour travailler et créer. Ce n’est pas assez, c’est certain. Ces questions d’espace, de moyens, d’outils sont centrales pour que cette danse continue de se développer. Parce que le danger est qu’elle s’essouffle. Il faut être toujours plus créatif, prendre des risques, essayer des croisements esthétiques pour surprendre et faire en sorte que ce langage et cette danse continuent cette belle histoire totalement singulière.

    Comment rendre le public curieux et l’amener à dépasser les clichés ? Comment développer une vision inclusive et ouverte ?

    En France, l’une des réponses a été de se trouver à la fois dedans et dehors. Au CCN, nous continuons d’imaginer des projets de territoires, où les danseurs proposent des rencontres scolaires, dans les cinémas, dans l’espace public pour aller toucher un public qui pourrait avoir une idée arrêtée de cette danse et qui ne pousse pas les portes du théâtre. Parallèlement, au théâtre, nous essayons de proposer des spectacles d’auteurs qui s’inscrivent dans ces lieux-là, qui ne soient pas de la démonstration, du battle. Ils sont toujours suivis ou précédés de temps de rencontre, ce qui, me semble-t-il, est précieux : nous mettons alors des mots sur notre parcours d’artistes, sur ce qu’est le hip-hop, sur la vision que nous avons à court ou à long terme. Cela peut changer le regard, ne pas réduire le hip-hop aux danseurs qui tournent sur la tête. Nous essayons de trouver des arguments et l’espace-temps pour partager nos réflexions. Il s’agit d’un long travail pour que ce rapport-là puisse changer. Les médias jouent également un rôle, ils nous accompagnent en s’éloignant des écrits caricaturaux commis à une époque. Et, bien sûr, il faut mentionner aussi la bienveillance de certains programmateurs en France qui ont vu dans le hip-hop une danse d’aujourd’hui et de demain qui pouvait bousculer le paysage chorégraphique français, et qui ont pris des risques à l’époque. Sans eux, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

    Qu’est-ce que le passage à la scène a apporté à cette danse ?

    Elle a apporté une forme de maturité. Quand on est passé à la scène, on a appris à travailler avec l’autre, avec l’institution, avec les artistes scéniques, avec un éclairagiste, un costumier, à bousculer notre rapport à ce vocabulaire. Être sur scène, ce n’est pas être dans la rue et vice versa. Aujourd’hui, la force de cette danse est qu’elle est à la fois engagée, au service d’une écriture, d’un propos sur scène, et à la fois elle est généreuse, spontanée, démonstrative dans la rue. Le hip-hop est fort parce qu’il fait ces allers-retours entre l’espace public et le théâtre et, par conséquent, il ne s’enferme pas d’un côté ou de l’autre. Je défends l’idée que le hip-hop doit être à tous ces endroits, ce qui fait sa singularité : voir du hip-hop dans un clip vidéo, comme dans un centre commercial ou sur une scène nationale, représente plusieurs portes d’entrée. Je n’ai pas l’impression qu’il a perdu ce qu’il était en entrant dans les théâtres, comme on a pu l’entendre ici et là. Ça l’a enrichi et, sans cela, il n’aurait pas connu cette évolution.

    Dans vos spectacles, vous avez l’habitude de conjuguer différentes disciplines. Dans Boxe Boxe Brasil, vous mêlez boxe, musique classique, hip-hop… Pour vous, le présent et l’avenir du hip-hop se situe-t-il forcément dans le métissage des styles ?

    Je ne dirais pas les choses comme cela. Toute forme artistique n’évoluera que si elle se remet en question, autrement elle risque de s’essouffler. Il est intéressant pour moi aujourd’hui en tant qu’artiste, ainsi que pour le public et pour le hip-hop, de trouver un dialogue avec d’autres formes artistiques et de tenter d’emmener le spectateur à un endroit un peu inattendu. En ce qui me concerne, mon évolution passe par ces croisements, c’est ma façon de faire avancer ma danse. Je défends aussi le hip-hop de la rue, le hip-hop des battles qui font partie de la culture du hip-hop ; je défends toutes ces initiatives qui sont totalement complémentaires. •

    Boxe Boxe Brasil de M. Merzouki/Cie Käfig du 25 au 27 janvier à Wolubilis
    Rencontre à l’occasion des 20 ans de la compagnie, le 30 janvier au PBA de Charleroi
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