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    NDD#71 La formation, un tremplin vers la création

    Improspection © Carine demange

    Rencontre avec Carine Demange | Propos recueillis par Alexia Psarolis

    Comment est née la formation « Hip-hop : du Tremplin à la Scène » ?

    La formation a été initiée par Jean-Claude Pambè Wayack, danseur-chorégraphe français de hip-hop installé en Belgique. Le Centre culturel Jacques Franck, désireux de créer une scène professionnelle de hip-hop en Belgique et déjà actif dans différentes réalisations, l’a alors invité en résidence afin de construire son projet. Son projet est né d’un triple constat : la formation insuffisante des danseurs, le manque d’ouverture des lieux et des opérateurs non formés aux codes du hip hop. Il a imaginé ce projet pilote de formation, de soutien à la production et à la diffusion, qui demeure toujours pilote aujourd’hui, même si nous en sommes à la 3e édition. La première étape consiste à repérer et sélectionner des danseurs dans différentes régions (auditions) ; dans chaque région où est organisée une audition, une représentation de spectacle hip-hop professionnel est programmée, l’occasion de poser quelques jalons en région, pour le public comme pour les danseurs. La deuxième étape est une formation de 11 semaines minimum réparties sur les périodes de vacances scolaires. La troisième étape, enfin, est la création de spectacles par ces artistes émergents encadrés par notre équipe et leur tournée dans les lieux partenaires.

    Sur quels critères s’opère la sélection des danseurs ?

    Les danseurs doivent avoir 18 ans et plus, et l’envie de devenir danseurs professionnels, de créer pour la scène. Cela leur demande réflexion car la formation exige un véritable engagement, de la disponibilité. Les artistes-formateurs considèrent aussi leur disposition à apprendre et leur singularité. Parmi eux, certains sont déjà interprètes ou chorégraphes professionnels et ont un excellent niveau mais travaillent dans le réseau commercial où ils trouvent plus de débouchés (pour la télévision, l’industrie musicale, la mode, la publicité, à l’étranger parfois…). La plupart sont aussi enseignants. Ils n’ambitionnent pas moins de se produire sur les scènes de leur région. Nous sommes également attentifs aux questions de mixité et de genre. Au sortir de la formation, on ne leur promet pas la gloire, au mieux le statut d’artiste au même titre que les autres danseurs et chorégraphes contemporains. La difficulté reste la même, quelle que soit la discipline. Ils auront surtout pu rencontrer les réseaux de création et de diffusion culturelle avec lesquels ils pourront construire leurs projets et leur carrière.

    Comment le contenu pédagogique est-il élaboré ?

    Nous réajustons le contenu en permanence en fonction de nos constats et des besoins de danseurs. Nous nous sommes énormément ouverts à la danse contemporaine et avons remarqué que beaucoup de projets tendaient à s’en rapprocher… Certains artistes issus du Tremplin ne sont plus assez hip-hop aux yeux de ceux qui les suivent. Les lieux qui programment du hip-hop ne sont d’ailleurs pas forcément les lieux qui programment de la danse contemporaine. Pour ces programmateurs, la danse hip-hop s’adresse à tous les publics et c’est un plus. Néanmoins, nous avons gardé au sein de la formation les outils de la danse contemporaine tels que le contact, l’improvisation, la gestion de l’espace, le travail de chœur… Pour tous les partenaires de ce projet, associatifs ou institutionnels, le pari est de défendre des spectacles hip-hop avec l’esthétique, la technicité et l’énergie propres à cette danse, et élaborés avec une écriture pour la scène, avec des codes qui puissent être lisibles pour leurs publics. En ce moment, une véritable réflexion a lieu en France pour savoir si nous n’avons pas « perdu » les vrais danseurs hip-hop. Nous devons favoriser l’émergence de leur propre écriture sans qu’ils perdent leur propre langage. Poser une écriture, trouver son style, dans la filiation de ce mouvement artistique dont ils sont porteurs, c’est l’objectif de cette formation. Pour cela, le Tremplin Hip-Hop permet d’aborder différentes facettes des arts de la scène tels que la dramaturgie, l’écriture chorégraphique, la scénographie, les lumières… tout en initiant aux fondamentaux des techniques de danse hip-hop, pour eux comme pour les générations à venir.

    D’où émanent les soutiens, qui sont les partenaires ?

    Sandrine Mathevon (directrice du Centre culturel Jacques Franck) et Jean-Claude Pambè Wayack ont réfléchi aux partenaires potentiels en Belgique qui avaient envie de défendre ce secteur, celui de la danse hip-hop et des danses urbaines en général, et aux moyens de le faire. Il y a, par exemple, Lezarts urbains, une association avec peu de moyens qui est sur le terrain depuis des années, et de grosses institutions comme le Théâtre royal de Namur ou Charleroi danse, qui avaient envie de voir émerger cette scène et avaient intérêt à la soutenir. Le combat de Sandrine a été de convaincre tous nos partenaires en Fédération Wallonie-Bruxelles et de les pousser à investir dans cette scène. Jean-Claude, lui, trouvait formatrices et formateurs pour monter un projet pédagogique qui puisse donner naissance à des créations encadrées qui soient abouties et diffusables dans ces lieux. Ce collège de partenaires s’est étoffé au fil des ans. L’équilibre demeure fragile et repose parfois sur une seule personne ; il suffit d’un changement au sein d’un théâtre pour voir un partenariat s’arrêter, comme avec les Halles par exemple, ou bien comme avec Vincent Thirion, très engagé dans le hip-hop, qui à l’époque était impliqué comme intendant de Charleroi-Danses et continue d’être partenaire en tant que directeur du Centre culturel régional de La Louvière (le Central). Mais le premier soutien du projet, il ne faut pas l’oublier, est la Fédération Wallonie-Bruxelles impliquée dans dans la réflexion depuis le début. C’est d’ailleurs Jean-Philippe Van Aelbrouck, responsable des arts de la scène, qui nous a mis en relation avec Jean-Claude Pambè Wayack et son projet.

    Aux côtés du Jacques Franck, il y aussi le Théâtre royal et le Centre culturel de Namur, la Maison Folie de Mons, Charleroi danse, le Central-La Louvière, le Théâtre de Liège et le Centre culturel de Chênée, ainsi que le FLOW, nouveau partenaire lillois et centre euro-régional des cultures urbaines, donc transfrontalier et européen. Nous discutons avec eux et avec la Cie Art-Track sur la façon de mener ce processus afin de ne pas tomber sur les mêmes écueils que nos voisins. La formation doit correspondre aux besoins des danseurs, à la réalité du terrain, tant au niveau artistique qu’à celui des modes de diffusion. Lezarts urbains accompagnent des artistes hip-hop émergents. Grand Studio et Citylab (Pianofabriek) sont des incubateurs de jeunes compagnies. La Cie Victor B en prend aussi sous son aile. Nous accueillons leur premier projet et le faisons tourner. ILES asbl offre un accompagnement plus individuel. Le BIJ leur permet de voyager à l’étranger. Nous sommes des relais à différentes étapes du développement d’une carrière artistique et travaillons en synergie.

    Quelle(s) faiblesse(s) ou manque(s) pourrait-on pointer ?

    Nous ne connaissons pas encore le budget qui sera alloué par la FWB et avançons à tâtons au moment où nous devons nous engager auprès de tous. Il en va de même pour la participation financière des partenaires institutionnels au moment des créations, eux-mêmes étant soumis aux réponses quant aux futurs contrats-programmes et aux mutations. Jusqu’à présent nous recevions 45 000 euros, ce qui était insuffisant et ne serait plus tenable pour cette 3e édition. Sans un poste de coordination réellement doté et rattaché à une institution, le travail est assuré sur fonds propres, sporadiquement et l’énergie pourrait venir à manquer. Mais c’est un réel enjeu pour nous que cette formation reste gratuite et accessible aux artistes de tous les milieux sociaux et culturels, nous sommes un tremplin. Et puis, il y a ces moments de magie qui donnent tout son sens à ce projet… •

    Carine Demange collabore avec le Jacques Franck depuis une douzaine d’années et coordonne le Tremplin Danse Hip Hop. Parallèlement à cela, elle réalise des documentaires de création et des magazines culturels pour la radio.
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