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    NDD#86 – Lutter contre la précarité culturelle

    FRANÇOISE SCHEIN DYADES 1992 Œuvre immersive en carreaux de grès et verre. 1600m2 Commande de la STIB, Belgique pour la station de métro Parvis de Saint Gilles, Bruxelles L’oeuvre présente une double thématique très actuelle en 2023 : celles des frontières européennes et celles des droits fondamentaux

    Entretien avec Laurence Adam

    Propos recueillis par Nicolas Bras

    À Bruxelles, on estime à 300.000 le nombre de personnes vivant autour ou sous le seuil de pauvreté.1 À travers ses différentes actions, l’association Article 27 s’active pour que ne s’opposent plus les droits au logement, à l’alimentation, à la justice avec celui d’accéder à l’offre culturelle et d’y participer.

    Association incontournable en matière d’accomplissement des droits culturels auprès des publics les plus précaires, Article 27 Bruxelles est active depuis 19992 et remplit aujourd’hui sa mission à travers différents axes : la mise à disposition des tickets Article 27 à 1,25€ pour les publics bénéficiaires afin de garantir le droit d’accès à l’offre culturelle pour tous et toutes, la mise en place de projets artistiques pour faire émerger leurs paroles et que celles-ci atteignent l’espace public, la mise en réseau d’opérateurs culturels et sociaux pour soutenir et valoriser des actions de médiations culturelles. Les publics concernés sont les personnes qui fréquentent les structures luttant contre la pauvreté avec lesquelles Article 27 a conclu un accord de partenariat : CPAS – centre public d’action sociale, centres de santé mentale, d’alphabétisation, maisons d’accueil, de jeunes,… par exemple. Le ticket Article 27 est exclusivement valable dans les lieux culturels partenaires et à venir récupérer par les bénéficiaires dans les associations partenaires.
    Rencontre avec Laurence Adam, directrice de l’association, pour évoquer le travail en réseau.

    Comment évaluez-vous la légitimité qu’octroie la présence de l’article 27 dans la Déclaration universelle des droits humains dans la lutte pour l’accès à la culture pour tous?

    Elle indique que ce droit est incontestable. On ne peut pas être un homme ou une femme politique ici et se dire contre l’article 27 de la Déclaration universelle des droits humains. On ne peut pas s’y opposer ; en tous cas, pas quand on est en démocratie. La question de savoir comment l’appliquer est vaste et va se traduire de manière différente selon les pays. L’association est un instrument qui permet de pouvoir s’engager dans des actions concrètes. Aussi, 1,25€ correspondait en 1999 à 50 francs belges, à savoir le prix du pain. De la sorte, nous mettions d’emblée l’équivalence entre nourriture de l’esprit et physiologique. Car l’enjeu, c’était aussi de trouver un symbole fort tant c’est difficile de défendre la culture pour tous quand il s’agit d’y consacrer des moyens. Ça peut être vu comme un luxe ou comme quelque chose de secondaire par rapport à des besoins qui seraient vitaux. C’était important aussi de pouvoir rappeler ce besoin d’être nourri intellectuellement, spirituellement et ce, d’autant plus si l’on subit une situation de précarité avancée. Quand nous arrivons dans une association d’aide, nous arrivons démuni. Sans argent, sans toit ou sans droit mais nous sommes toujours porteurs de culture et c’est essentiel de le rappeler.

    D’une part, il y a la question de l’offre culturelle portée par les associations et les lieux de culture mais il y a aussi la question de la réception par le public cible. Arrive-t-il que ce soit vécu par le public comme une gêne d’être bénéficiaire de cette aide ?

    Bien sûr ça existe de se sentir stigmatisé par le fait de donner un ticket Article 27 plutôt qu’un billet de vingt euros. Le but de notre action pour commencer, est de rappeler que l’accès à la culture est un droit fondamental que les bénéficiaires peuvent s’approprier. Ensuite, il y a un travail d’information et de formation auprès de nos partenaires. Article 27 fonctionne en réseau avec plus de trois cents associations sociales. Concrètement, il y a un relais dans chacune des associations sociales qui va se charger de la distribution des tickets, de diffuser les infos sur l’offre et les projets possibles pour nos publics. Nous comptons aussi plus de deux cents partenaires culturels à Bruxelles. Ces lieux organisent leur mission sociale en cherchant la meilleure manière de s’ouvrir aux publics qu’ils ne rencontrent pas habituellement. D’abord, il y a le fait d’accepter le ticket Article 27 à 1,25€3 ; ensuite, ces lieux passent par des modalités de médiation culturelle pour s’ouvrir aux associations : propositions d’ateliers, rencontres avec les artistes, visite des lieux. Un véritable travail de fourmi pour déconstruire les a priori négatifs de la personne quant à la légitimité dans son désir de rencontrer une œuvre. À l’époque, le travailleur social qui organisait les sorties le faisait souvent sur ses heures personnelles, pas sur ses heures de travail. Tout un chemin a été fait vers la reconnaissance du caractère professionnel de ce travail avec, par exemple, la mise en place des comités culturels composés de travailleurs sociaux mais aussi de bénéficiaires des aides sociales.

    Comment concrétisez-vous ces possibilités de rencontre des publics vers les acteurs du réseau ? Mettez-vous des outils à disposition des différents lieux partenaires pour qu’ils puissent accueillir au mieux leurs publics ?

    Notre travail de médiation culturelle consiste à animer des moments de rencontres et de réflexions autour de cet enjeu de la culture pour et par tous et toutes. Nous développons des animations, des comités culturels, des outils de sensibilisation qui permettent de faire émerger les représentations sur la culture aussi bien avec les publics qu’avec les travailleurs sociaux. Nous rendons compte de l’offre culturelle et de médiation via des outils coconstruits avec les partenaires culturels comme les répertoires culturels ou les rendez-vous de la médiation par exemple. On voit le dynamisme du réseau aussi à travers les chiffres. Aussi, nous renforçons encore les liens entre partenaires sociaux et culturels à travers l’entretien d’un répertoire social, de l’organisation des journées du réseau Article 27. Quelques éléments chiffrés témoignent de la dynamique du réseau, en 2022, 52.198 tickets ont été utilisés par les bénéficiaires et 2.747 sorties culturelles de groupe ont été organisées dont une large majorité avec un accompagnement avant ou après spectacle. •

    1. https://bruxelles.article27.be/Article-27-Bruxelles-140
    2. L’antenne wallonne existe depuis 2000 et a un fonctionnement différent vu les spécificités territoriales. Voir : https://wallonie.article27.be
    3. Pour chaque ticket Article 27 vendu, les salles de spectacle se voit rembourser un maximum de 5 € par l’association. Au total, une place Article 27 représente une rentrée de 6,25€ maximum pour la salle de spectacle.
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