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    NDD#70 DOSSIER Comme un roman : Les liaisons entre danse et littérature

    Installation Mette Edvardsen © Bea Borgers

    Dossier coordonné par Alexia Psarolis

    Comme un roman. Ce titre de dossier emprunté à l’ouvrage éponyme de Daniel Pennac se veut moins provocateur que révélateur des liaisons qu’entretient la danse avec la littérature et de leur enrichissement mutuel. Si la figure de Pennac apparaît en filigrane, c’est qu’entre la scène et lui un lien s’est noué l’amenant à explorer une autre forme de corporéité. Dans Journal d’un corps (éd. Gallimard) – son autobiographie fictive –, il livre la chronique des mouvements incessants entre le corps et l’esprit. « Le corps est une manifestation physique qui n’en finit pas de se développer, de disparaître, de renaître… », note l’auteur. Ce livre, paru en 2012 et mis en lecture aux Bouffes du Nord à Paris, l’écrivain l’a incorporé pour le faire résonner en lui et sur scène. « La langue, c’est du son », affirme-t-il. « J’aime voir le texte rentrer par les yeux, par les oreilles », ce qu’il nomme « le mystère laïc de l’incarnation qui se joue tous les soirs sur les scènes de théâtre ». Ce va-et-vient entre la scène et les mots a fait naître une collaboration avec le chorégraphe Farid Ounchiouene, qui s’est emparé du conte L’Œil du loup, « une matière à penser et à danser ».1

    La danse, comme un roman ? Ces deux formes artistiques aux écritures pourtant si différentes ont entrepris un dialogue fructueux, où le monde des perceptions s’entrelace à celui des idées. Si la danse contemporaine s’est affranchie de la narration traditionnelle, elle raconte néanmoins quelque chose. Elle fait surgir sensations et images, suscitant elle aussi des manifestations kinesthésiques. « Quoi qu’elle mette en jeu comme gestes, mouvements ou rythmes, la danse est histoire(s), anecdote(s), narration(s) ».2 « Je lis énormément, passe des heures en librairie, à la recherche d’un verbe très incarné, confesse le chorégraphe Angelin Preljocaj. Et lorsqu’un livre me touche, comme Ce que j’appelle l’oubli de Laurent Mauvignier, quand, hanté par les corps, il produit un tel choc, une telle émotion sur moi, je le fais partager à travers une chorégraphie pour qu’un plus large public le découvre. La danse est l’apocalypse du texte, pas comme chaos mais dans le sens étymologique (du grec « apo-kalupto », ôter le voile), elle révèle les mots et ramène à la fin au livre ».3 Maguy Marin et Beckett, Dominique Bagouet et Emmanuel Bove, Mathilde Monnier et Christine Angot… Des écrivains sur scène ; des chorégraphes tellement séduits par l’expérience littéraire qu’ils cheminent jusqu’à l’écriture.4 « La danse démultiplie ainsi ses faces actives », analyse Nathalie Nachtergael, professeur de littérature et arts contemporains à l’Université Paris 13, qui met à jour les possibles combinaisons du tandem écrivain-chorégraphe.

    Les démarches dont nous nous faisons l’écho engagent des artistes du verbe et du mouvement, dont l’inspiration réciproque et les interactions ont donné naissance à des œuvres étonnantes. Ainsi, la chorégraphe belge Louise Vanneste initie un cycle littéraire avec Thérians, inspiré d’Orlando de Virginia Woolf, présenté à Bruxelles cet automne. Elle considère la lecture, au cœur de sa vie et de son travail, comme un acte de création. « Les danseurs, sans le savoir, font de la lecture une pratique somatique, un exercice de danse virtuelle », observe l’universitaire Alice Godfroy, qui a élaboré le concept de « dansité » d’un texte. La chorégraphe et performeuse Mette Edvardsen, quant à elle, développe une démarche originale autour de l’incarnation de livres, constituant au fil du temps une « bibliothèque humaine » : les textes se réveillent de leur latence pour s’intégrer dans des corps vivants. Enfin, la parole est laissée à un écrivain, Thomas Gunzig, qui signe les textes des spectacles Kiss & Cry et Cold Blood, réalisés en collaboration avec la chorégraphe Michèle Anne De Mey et le cinéaste Jaco Van Dormael. Une prose poétique pour une danse de doigts : Cold Blood est repris cet automne au Théâtre de Liège ainsi qu’à Bruxelles, au Théâtre National, qui met à l’honneur cette saison-ci les « constructeurs d’histoires »5… •

    1 L’Œil du loup, Daniel Pennac, éd. Pocket Jeunesse, 2002. Adaptation chorégraphique par Farid Ounchiouene en décembre 2016, à la Maison des métallos, à Paris ; et repris en 2017.
    2 Danse contemporaine, Rosita Boisseau, Laurent Philippe, nouvelles éditions Scala.
    3 Livres Hebdo n° 946, 22/03/2013.
    4 Des textes qui dansent. Quand les chorégraphes écrivent pour la scène, éd. Micadanses.
    5 Nouveau sous-titre du Théâtre National.
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