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    NDD#64 Territoire de peau & Entretien avec Mélanie Perrier

    Mélanie Perrier Lâche © Mélanie Perrier

    Propos recueillis par Alexia Psarolis

    Lâche, c’est un corps-à-corps féminin où les peaux restent aimantées l’une à l’autre. Présentée en juin dernier aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, la nouvelle création de Mélanie Perrier aborde la question de l’intime. Laissons la parole à la chorégraphe.

    « Mon travail se caractérise par une recherche articulée aux problématiques de la relation à l’autre, tant du point de vue dramaturgique que dans les processus d’écriture, et, ce, depuis plus de quinze ans. Mon parcours est multiple, nourri d’une approche plasticienne autour de la performance dans un premier temps, et d’un trajet dans la danse qui a été marqué par des rencontres déterminantes ayant pour point commun une conception de la danse hors de toute logique formaliste. La philosophie nourrit particulièrement mon travail, pour son pouvoir à ouvrir des espaces de pensée et son usage spécifique des mots. Lévinas, dans sa manière d’envisager la relation à l’autre, (que cela soit le visage, l’éros, le féminin..) accompagne mon travail tant dans la conception des pièces que dans la plupart des sessions de travail avec les danseuses. Cela a permis également d’implanter une dimension hautement éthique dans mes relations de travail avec l’ensemble des membres de l’équipe. Au sein d’une équipe artistique, je défends en effet une conception managériale du travail empruntée à la fois de « l’éthique du care1 » et de l’éthique telle que la définit Lévinas. 

    Lâche est le troisième volet d’un triptyque autour de la relation amoureuse. L’intention de la pièce était de réinterroger les liens entre la danse, la lumière et la musique et de poser la figure du nœud au centre du dispositif chorégraphique, tant pour les danseuses que pour l’écriture même des composantes entre elles. Nous sommes partis de la figure de l’enlacement, pour explorer l’adhérence et la difficulté du détachement entre deux corps féminins. Aimantées au sol, les deux danseuses oscillent entre attachement et détachement. La pression et les modulations de tonicité sont devenues les moteurs fins de l’élaboration du mouvement dansé. Il m’intéressait également de poser comme parti pris pour la création que la lumière fasse disparaitre les corps et que la musique soit dans une énergie différente de celle de la danse, ici délibérément techno et électro. Cela permet ainsi de proposer une expérience riche pour le spectateur qui navigue entre immersion sensible, expérience perceptive et musicale oscillant entre la danse, la lumière et la musique.

    Ma formation de plasticienne me rend plus exigeante et vigilante sur l’écueil purement formel de ce tissage entre corps et lumière. Pour moi, il ne s’agit en rien que l’un instrumentalise l’autre, mais bien d’interroger la relation entre la danse et la lumière en posant d’emblée l’autonomie de chacun pour mieux entamer l’écriture d’un dialogue. J’ai introduit pour ce spectacle, le maquillage sur les corps, afin que la danse même puisse faire évoluer la perception des surfaces visibles des corps. Concernant la nudité dans mon travail, la question est de savoir ce que l’on met à nu et comment on donne à voir. Il y a une différence entre la nudité, le corps nu et la peau dévoilée. Pour ce spectacle (comme pour les précédents), il m’importe de dés-assujettir le féminin de son image, en installant un flottement des attributs, pour mieux troubler les normes de représentation de genre, tout en revendiquant le corps de femme et une sensualité purement féminine.

    Il convient selon moi de faire la différence entre sensualité (le voir) et sexualité (le faire), la sensualité permettant de sortir de la génitalité (contrairement au sexuel) pour offrir un autre rapport au sensible et au corps vu. Je n’ai pas adopté le nu intégral dans la pièce parce je me place du côté de cette sensualité du visible et non du côté d’une politique du sexuel. Le concept de « territoire de peau » que j’ai développé correspond à la manière dont nous avons travaillé la nudité avec les danseuses. La nécessité d’être dans un contact direct et sensible avec la peau nous est apparue évidente dès les premiers jours de création. Ce contact entre les peaux a été un outil majeur pour la danse, à même de faire varier la qualité de pression, de tension, et d’élargissement du contact entre les interprètes. Concevoir le corps comme un territoire, c’est dès lors poser l’écriture de la danse comme une cartographie renouvelée du corps, où la peau devient une interface, lieu de circulation entre l’intérieur et l’extérieur.Pour moi, la danse doit inventer à chaque fois une écriture critique des corporéités, et non une organisation des mécaniques des corps. » •

    1 « L’éthique du care » est une éthique et philosophie développée aux États-Unis à la fin des années 80. Elle s’inspire de recherches féministes et se nourrit des regards croisés de la psychologie, sociologie, philosophie et de sciences politiques.
    Le care propose une nouvelle formulation des liens d’interdépendance et de caring existant entre les individus et invite à une nouvelle manière d’objectiver l’organisation de la société.
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