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    NDD#64 La bêtise humaine | Mas-Sacre de Maria Clara Villa Lobos

    Maria Clara Villa Lobos Mas-Sacre © S. Magnone

    Des plumes des pattes et des groins | La nudité animale n°1

    Par Alexia Psarolis

    A l’occasion du centenaire du Sacre du printemps, créé en 1913, la chorégraphe Maria Clara Villa Lobos a revisité cette œuvre mythique pour questionner le sacrifice et le rite dans notre monde contemporain. Mas-Sacre – titre de la pièce, clin d’œil au commentaire d’un critique qui avait qualifié l’œuvre de Stravinsky et Nijinsky de « massacre du printemps ») – aborde un des thèmes de notre société de consommation : l’élevage et l’abattage des animaux sacrifiés par l’industrie agro-alimentaire.

    Un corps nu, sur une table en inox semblable à une table d’auscultation ou d’un plan de travail de boucher. à l’écran, les images d’un poulet inerte manipulé par des mains humaines tandis que sur scène, la danseuse Coral Ortega entièrement nue reproduit à l’identique les mouvements imposés au volatile. Jambes et bras écartés se tordent, se recroquevillent ou se déploient sur la musique de Stravinsky.

    Dans un autre tableau, les danseurs se maquillent en clown et revêtent un tablier en plastique sous lequel ils restent nus, mi-grotesques mi-effrayants, fourchette et couteau à la main, prêts à tout pour dévorer. Ils entament une danse mimant le sacrifice quand entre en scène un danseur bien en chair, aussitôt dévêtu et affublé d’un masque de porc. Le danseur privé de son visage humain s’est métamorphosé en animal. La mise à nu annonce sa mise à mort. Tandis qu’il fait ostensiblement onduler ses bourrelets, les trois clowns font gicler sur lui de la peinture rouge. Le cochon finit traîné dans un bain de « sang », puis est attaché tête en bas, sous les cris jubilatoires de ses trois bourreaux ; il est devenu martyr.

    Mas-Sacre confronte le spectateur à la ressemblance troublante du corps humain et animal, révèle un parallèle entre la chair humaine et celles des animaux sur scène. Gorgone, sphinx, minotaure et autres chimères, la mythologie regorge de créatures mi-hommes mi-bêtes. La métamorphose du danseur en cochon par le biais du masque n’est pas sans rappeler l’épisode homérique où Circé la magicienne jette un sort aux compagnons d’Ulysse et les transforme en pourceaux.

    L’utilisation du masque – procédé que l’on retrouve dans d’autres spectacles de Maria Clara Villa Lobos – place la nudité sur scène à l’antithèse de l’érotisme; les corps nus de Mas-Sacre font disparaître les figures, littéralement ce qui donne l’identité, laissant voir des corps anonymes bestialisés qui font écho aux milliers d’animaux abattus quotidiennement au nom du profit.

    En épilogue du spectacle défilent à l’écran les images de baisers langoureux entre hommes, femmes et différents animaux. Le spectacle se clôt avec humour sur la musique de Brigitte Bardot, BB l’amie des bêtes… et, ironiquement, le symbole par excellence du corps érotique. Plaçant la nudité du côté de la bestialité, Maria Clara Villa Lobos donne à sa pièce un caractère pamphlétaire visant à dénoncer la barbarie de l’abattage et renvoie dos à dos l’humanité dont semble doté l’animal à la part d’animalité qui réside en nous. •

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