Du livre au studio. Expériences d’artistes I

Par Patricia Kuypers

Corps, Espace, Image fait partie de ces innombrables documents que j’ai puisés dans les propositions de Contact Quarterly et, plus qu’un autre, il a retenu mon attention et nourri mes pratiques. Le travail avec les objets décrit dans le chapitre « Paysages » a relayé pour moi celui que j’avais abordé avec Simone Forti et où j’avais déjà pressenti un potentiel fort dans le jeu avec les objets en remplacement ou en préalable à celui avec le corps.

Comme une manière de se désencrasser de nos habitus kinesthésiques en observant comment l’espace lui-même se met en mouvement dès qu’on y ajoute ou soustrait un élément matériel. Un moyen aussi de sortir du point de vue du « je » car ce qui se met en jeu n’est pas mon propre mouvement, mais la présence d’un objet inanimé dont je prends le temps de mesurer comment il affecte ma perception et mon imaginaire. Ce mode exploratoire permet ainsi une inversion du processus de danse, l’imaginaire se met en mouvement avant le corps physique et favorise par des rapports de sens, non sens, narration, fiction, abstraction, l’émergence de nouveaux possibles où l’acte performatif naît de l’aménagement d’un environnement propice.

Mais c’est probablement au sein de l’option « Performance, art corporel » dans laquelle je suis intervenue à l’école d’art La Cambre depuis une quinzaine d’années que ce livre m’a le plus souvent accompagnée et, en particulier toujours, dans cette prise en compte de l’environnement, du paysage, de la poésie propre au langage des lieux. Déplacer l’attention des étudiants de leurs propres actions, idées, corps pour lire ce qui est déjà inscrit dans une situation, dans un contexte et dérouler un processus de collaboration en prenant le temps de l’écoute, de l’observation de l’activité des partenaires et de tous les éléments qui composent un moment a permis d’aider à la formulation de processus performatifs nés du concret, de l’ici et maintenant et non d’un concept opératoire appliqué arbitrairement à une réalité.

À force de compulser ce livre, je peux retrouver très rapidement les éléments ressources dont j’ai besoin pour clarifier telle ou telle proposition pédagogique, mais ce qui m’a aussi beaucoup touchée, c’est la qualité et la richesse du choix des images, textes, poèmes, photos, traces de performance qui confèrent à l’ouvrage un rebond poétique constant, incluant des représentations anatomiques et des reproductions d’œuvres inspirantes. L’ouvrir revient à plonger dans la pratique, les mots choisis sont ceux de danseurs, chorégraphes, compositeurs, ils me parlent directement, me mettent en mouvement et favorisent, par leur précision et leur façon très simple d’inventorier les possibles d’une proposition, une clarté de formulation bien utile pour développer des processus d’improvisation.

Patricia Kuypers est danseuse et chorégraphe engagée, notamment, dans le contact improvisation et l’improvisation depuis les années 80.