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    NDD # 79 – Jeune public ou l’éloge du vivant – Entretien avec Christian Machiels

    Par Alexia Psarolis

    Adaptabilité et souplesse, les maîtres mots du manuel de survie en temps de crise. Du code vert au code rouge, Pierre de Lune, le Centre Scénique Jeunes Publics de Bruxelles, en voit de toutes les couleurs, à l’instar de tout le champ des arts vivants (et au-delà). Malgré l’incertitude, Christian Machiels, son directeur, reste confiant en l’avenir et, surtout, convaincu du « besoin qu’ont les enfants de vivre un projet collectif, des moments d’expression de soi, de poésie et de corps ».

    Il y a quelques mois, c’est-à-dire une éternité, Pierre de Lune avait pris la décision de programmer une saison normale, tant au niveau des représentations scolaires que de l’art à l’école, et de s’adapter en fonction de l’évolution de la situation, un contexte mouvant qui requiert créativité et plus d’un tour dans son chapeau. En code vert (jusqu’au début du mois de novembre), les ateliers dans les classes et dans les Hautes écoles se déroulaient « à peu près normalement », selon le protocole sanitaire. Il ne faut pas être doté d’une imagination débordante pour concevoir la difficulté à maintenir la distance réglementaire d’1,50 m dans le cadre d’un atelier théâtre ou danse destiné à des enfants. Passés en code rouge (après les vacances de la Toussaint), « les représentations scolaires ont dû être annulées jusqu’en décembre, ce qui est préjudiciable pour les enfants, les compagnies, les enseignants. Cependant, le code rouge n’empêche pas la venue d’artistes dans les écoles primaires (l’artiste ayant été considéré comme personne essentielle par la ministre de l’éducation Caroline Désir). En revanche, certains ateliers pour adultes et formations à destination des Hautes écoles ont dû être annulés, d’autres sont menés en mode digital ».

    Rémunérer les artistes

    En dépit des annulations de formations et d’ateliers, le Centre scénique bruxellois demeure vigilant à rémunérer artistes et intervenants. En mars et en mai dernier, la Fédération Wallonie-Bruxelles avait mis en place deux fonds d’urgence pour les spectacles annulés la saison passée, dont l’art à l’école ne faisait pas partie. « Un troisième fonds d’urgence concernant les représentations publiques est en train de se mettre en place, dont les modalités ne tarderont pas à être connues. Le volet spécifiquement Art à l’école dépend de la COCOF (Commission communautaire française, ndlr), qui nous octroie une subvention à l’année et non remise en question. Ce soutien aux artistes est évidemment rendu possible grâce aux subventions dont nous bénéficions ».

    Du charnel au virtuel

    Durant le premier confinement en mars et avril, Pierre de Lune avait lancé un projet de création numérique rémunérée qui permettait de soutenir les artistes (91 au total pour un montant global de 17 290 €), tout en proposant aux enfants un bol d’air artistique essentiel. Si les retours – informels – des parents et des enseignants sur cette expérience inédite demeurent positifs, Christian Machiels souhaite retrouver au plus vite la dimension vivante et incarnée des arts de la scène, sans passer par la case numérique. « Lorsqu’en septembre-octobre nous avons pu reprendre les représentations, j’ai mesuré l’importance tant pour les enseignants que pour les enfants de se retrouver dans une salle, de voir des artistes sur une scène, d’être émus ensemble… Le plaisir était perceptible ! Ce travail artistique sur un plateau correspond à un réel besoin. Il est important pour les enfants d’aller au théâtre ! » 

    Si la situation ne s’améliore pas, le directeur et son équipe imaginent des alternatives aux écrans qui ont grandement envahi le quotidien des enfants et des ados. Des idées ? « Des petites formes jouées en classe, comme Maintenant que vous êtes à la fenêtre vous aussi écrit par Valériane de Marteleire, durant le premier confinement, et lu en classe, suivi d’un petit débat philo. L’idée est de continuer à jouer un spectacle même si cela se passe dans la salle de gym ou celle de psychomotricité pour les petits… » Ceci étant, emmener les jeunes au théâtre découvrir un spectacle dans des conditions professionnelles demeure le credo que défend ardemment Christian Machiels. Et si la fermeture des théâtres perdurait ? L’équipe de Pierre de Lune, si elle a la tête dans les étoiles, gardent les pieds sur terre et envisage avec pragmatisme différents scénarios « pour que les enfants soient en contact avec le vivant ». « Investir l’espace public, quand le temps sera plus clément, concevoir par exemple un spectacle comme une promenade au départ de l’école durant laquelle surviennent des rencontres, une performance de danseurs ici, un numéro de circassiens là, une lecture devant un bâtiment un peu plus loin… Nous devons inventer d’autres choses. » Retrouver le corps, dans sa dimension charnelle. Un besoin, pour ne pas dire une nécessité.

    Le casse-tête 2021

    Covid oblige, les Rencontres Théâtre Jeune Public de Liège ont été annulées et celles prévues à Bruxelles en lieu et place du festival Noël au Théâtre ont, sans surprise, subi le même sort. Les conséquences, pour Christian Machiels, sont « terribles puisqu’elles vont entraîner un phénomène d’embouteillage. Les cinquante-quatre spectacles qui y étaient programmés ne seront pas vus par les programmateurs et ne seront donc pas diffusés. Or, en 2021, les Rencontres présenteront de nouvelles œuvres. Comment absorber les spectacles non présentés en 2020 et les créations de 2021 ? Engorgement auquel vont également s’ajouter les pièces annulées cette saison et reportées la saison prochaine… Nous serons sans doute contraints de devoir tout décaler d’un an avec les conséquences artistiques et financières que cela suppose… et la crainte que certains spectacles qui n’ont pu être joués disparaissent. » à l’heure où se profile un éventuel reconfinement, les structures Jeune public, en concertation avec la Chambre des Théâtres pour l’Enfance et la Jeunesse (CTEJ), planchent sur ce qui apparaît déjà comme un casse-tête.

    Cette crise a-t-elle fragilisé le Jeune public, l’aura-t-elle mis en péril ? Négatif ! Elle aura, au contraire, révélé l’importance et la vitalité d’un secteur, selon le responsable. « Le retour au réel, au mois de septembre, a prouvé la nécessité d’avoir des enfants dans des salles, des artistes dans les classes et sur un plateau. Le Covid nous fait réfléchir encore plus au sens de nos interventions et de ce que nous voulons transmettre. » Si l’agueusie est l’un des symptômes du coronavirus, ce goût du vivant, lui, ne risque pas de disparaître. •

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