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    NDD # 79 – ékla, journal de bord

    Par Sarah Colasse, directrice du Centre scénique de Wallonie pour l’enfance et la jeunesse

    Le 13 mars 2020. Le mot crise entre parenthèses à côté d’« ékla » dans l’agenda. La situation s’aggrave, l’arrêt guette. La fermeture des écoles est annoncée. Dans la hâte et l’incertitude, rédiger un courriel à l’attention des artistes partenaires.

     

    Un autre courriel à l’équipe. Maintient-on l’atelier Fedasil prévu samedi dans notre salle avec Milton Paulo Nascimento de Oliveira ? Non. Hélas. Nous allons devoir y renoncer. Premier d’une longue suite de renoncements. Dont on n’imagine pas encore l’ampleur. Cependant, nous apprenons que, si les théâtres doivent fermer leurs portes au public, ils peuvent encore accueillir les artistes en répétitions. Javier Suarez viendra donc bien, comme prévu, à partir du lundi qui suit. Avec Erika Faccini. Des bancs d’essai sont programmés dans 15 jours. Montage, début du travail, puis stop ! Le confinement est déclaré. Le décor de Bleu sans pluie restera durant de longues semaines sur le plateau sans personne pour l’animer.

    L’art à l’école à distance

    Le temps passe, inédit, les réunions en vidéoconférence s’enchaînent, s’apprivoisent… La concertation entre partenaires du secteur jeune public va bon train, l’équipe d’ékla s’invente un nouveau fonctionnement, à l’instar de tous les travailleurs. Comment rebondir ? Comment préserver les liens ? Comment maintenir un maximum d’emplois artistiques ? Comment garder le sel de ce qui nous réunit ? De courriels en coups de fil, de téléréunions en atterrissages numériques, l’art à l’école se propose à distance. Si les professeurs arrivent à enseigner au loin, tentons, nous aussi et grâce à leur précieux concours, d’y insuffler une continuité ! Nos artistes ont carte blanche. C’est ensemble que nous pourrons réinventer ! Les solides fondations du projet permettent d’accueillir le fragile.

    En émaneront des perles, des pépites, des instants suspendus. Tels que ce En attendant, petit film créé par Caroline Cornélis et Frédéric Vannes. La danse des enfants de maternelle, tour à tour, avec une chaise, inspirée de Stoel. Filmés dans un jardin ou un salon. Magique ! Ou encore la capsule Des bulles sur le trottoir : Ornella Venica, son enseignante partenaire et Angélique Demoitié, des Chiroux, ont glissé la proposition de rendez-vous dans les boîtes aux lettres des petits élèves. Les trois femmes dansent sur le trottoir ; des enfants, leurs parents les regardent depuis la fenêtre ou le balcon, certains descendent et dansent avec elles, chacun dans une bulle dessinée à la craie. La tristesse d’écrire ce mail qui annonce la suppression des Rencontres Art à l’École à Charleroi danse. Mais ce n’est que partie remise ! En mai 2021. 

    Reporter aussi le nouvel appel à candidatures pour laisser le loisir aux partenaires actuels de poursuivre l’an prochain. Côté spectacles, envisager la saison suivante sans la perspective d’un Huy immédiat, sans savoir ce qui sera possible… Faire confiance surtout !

    Rebond et adaptation

    En juillet, retrouver avec bonheur le sens et l’essence de nos missions en regroupant, sur une semaine, l’ensemble des ateliers prévus au Centre Fedasil. Rebond inespéré et moment de grâce vendredi soir à ékla ! Une dizaine de jeunes en provenance d’Afghanistan, de Colombie, de Somalie, du Maroc, de Guinée… viennent de vivre des jours inédits avec Milton. Sur le plateau, la force des liens créés, la vigueur d’énergies belles et plurielles, la joie d’être là. Ensemble !

    À la rentrée, le pari d’une date : le 30 septembre. Afin d’y accueillir artistes, enseignants, puéricultrices, médiateurs culturels… des quatre coins de la Wallonie, comme chaque année, pour ouvrir l’opération Art à l’École nouvelle édition. « Soyez rassurés, nous resterons dehors ! » Avec les artistes associés, l’équipe et les partenaires du CCBW, imaginer une formule en plein air. Pour se rencontrer, se retrouver : une marche aux accents bucoliques dans Court-Saint-Étienne et des haltes artistiques qui font un bien fou. Parmi lesquelles les élans salutaires de Lisa Da Boit, pour spectateurs masqués, sous le toit d’un hangar. Sa rose rouge sur le mur gris et rappé comme la permanence de la beauté. Quoi qu’il arrive encore. Au loin, une petite fille a garé sa trottinette sur le sentier, subjuguée.

    Bouger, un besoin

    Des neuf formations prévues à l’automne, il n’y en aura que deux. Les autres seront reportées. Et ces deux-là auront valeur de trésors. L’une touche à l’écriture avec Vincent Tholomé. L’autre, à la danse avec Fatou Traoré. Danser ? Se toucher ? Vraiment ? Oui ! Repenser alors la formation pour la replacer dans un nouveau cadre, avec des protocoles sanitaires stricts. Fatou avance à l’instinct afin d’accueillir chacun là où il est et de recréer un esprit de groupe, esprit mis à mal par tant de restrictions liées au contact direct à l’autre. « J’ai retrouvé mon âme d’enfant », déclare une participante.

    Dans les écoles et dans les crèches, là où les ateliers peuvent démarrer, c’est le même bonheur, la même nécessité, le même besoin. Christine Heyraud ne peut plus interpréter Dimanche, dont la tournée s’est retrouvée coupée en plein élan, mais peut encore se rendre, pour ékla, auprès d’enfants et d’adolescents à Tournai. Une nouvelle façon d’être en atelier s’impose : masquée et à distance. Mais on s’adapte, on s’élance et on danse. « Ils en ont besoin ! », témoigne la danseuse, ils ne vont plus au spectacle ni nulle part ! Ils découvrent une autre approche du corps et c’est important qu’ils puissent… bouger ! »

    Côté spectacles, on reporte encore comme on peut, on invente, on investit les écoles avec des propositions adaptées. L’étrange intérieur de Florence Klein se transforme en lecture autour d’un pas de danse devant des yeux pétillants. « La magie du presque rien, la magie d’être ensemble. La magie des mots. La magie du jeu, du rire, du nous. La magie enfin de l’enfance qui toujours nous surprend », se souvient l’auteure.

    Décembre 2020. Bleu sans pluie devait rencontrer son public. Nous devons, une fois encore, postposer ce rendez-vous. Nous ferons tout notre possible pour le rendre extraordinaire ! •

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