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    NDD # 77 – La recherche, une ressource pour la créativité – Entretien avec Lara Barsacq

    Propos recueillis par Marian del Valle.

    Quelle est l’importance de la recherche dans ton travail de création ?

    Pour la pièce Lost in Ballets russes1, la recherche m’est apparue comme une nécessité. J’avais entamé un processus qui incluait l’histoire de ma famille, ayant migré de la Russie jusqu’en France, qui avait un lien avec les Ballets russes. Léon Bakst était mon arrière-grand-oncle. J’ai éprouvé le besoin de relier son histoire à celle de mon père et donc à la mienne. C’est ainsi que j’ai commencé à faire des recherches sur lui. Mon envie de danser est apparue quand j’étais enfant grâce à un poster qu’il y avait à la maison et à d’autres tableaux que j’avais pu voir de lui. Ses tableaux sont très chorégraphiques, ils m’évoquaient inconsciemment une certaine idée de la liberté du corps. Des années plus tard je me suis dit : ce serait magnifique de faire une partition chorégraphique à partir d’eux. J’ai alors commencé à mettre en lien cette idée de retracer le parcours de ma famille avec celle de revoir ces peintures et d’étudier leurs gestuelles. Je me suis plongée dans les archives pour chercher des anecdotes, des récits, d’autres tableaux et en savoir plus sur les Ballets russes. Ça a été une révélation, j’ai trouvé une grande source d’inspiration ! J’étais face à une immense ressource de créativité. Mais que faire de ces matériaux récoltés ? Comme il y avait ce qui était personnel et ce qui était lié à l’histoire de la danse, c’était délicat de voir à quel point je pouvais mêler l’un à l’autre. Cette fenêtre vers l’histoire de la danse s’est ouverte pour moi. Ce n’était pas une démarche de théoricienne, je suis allée chercher quelque chose qui était connecté à ma vie.

    Quel type d’archives as-tu consultées pour faire ta recherche ?

    Pour Lost in Ballets russes, j’ai consulté des documents à Contredanse, à la Bibliothèque nationale de France ainsi que les fonds des spécialistes de Léon Bakst. Mon cousin, éditeur, a été l’un des commissaires d’une exposition sur son œuvre à l’Opéra Garnier. Il m’a beaucoup aidée en me donnant accès à des données précieuses : des récits drôles, des photos inédites et de bonne qualité, j’ai eu beaucoup de chance.

    Peux-tu me parler de ce temps consacré à la recherche ?

    En comptant les deux pièces Lost in Ballets russes et IDA don’t cry me love2, j’ai passé deux ans à me documenter, à lire, sans essayer d’être créative, en prenant du plaisir à faire cela. C’est un temps qui pourrait presque s’apparenter à de la méditation. On s’imprègne de la matière trouvée, d’un univers et on laisse cheminer le tout au travers du corps et de la pensée en espérant que quelque chose en sorte, qu’un désir de créativité se produise. C’est un temps précieux. Pour cette période en particulier, il y a très peu de films ou de traces visuelles à part des photos ou des peintures, ce qui invite à tout imaginer. Certaines personnes pourraient chercher à être les plus fidèles possible à l’œuvre ; pour ma part, c’est la solution de l’émancipation qui m’est apparue la plus inspirante. Par ailleurs, il y a également des traces et des éléments réels qui sont tout aussi passionnants et que j’ai également inclus à mon travail. Je dois avouer que c’était une période riche de trouvailles mais aussi très solitaire.

    Comment passer du temps de la recherche à celui de la création ?

    Pendant la recherche pour Lost in Ballets russes, je savais déjà que je voulais faire une création, j’en avais besoin, et que je devais passer par le corps qui est mon outil. J’ai bénéficié d’une résidence d’écriture à la Bellone, à Bruxelles, et j’étais face à toute la matière que j’avais récoltée pendant un an et demi. Afin de préparer une présentation de sortie de résidence, j’ai décidé d’écrire une pièce, complétement fictive, à partir de tous ces matériaux. Cette pièce contenait : une description des déplacements physiques, deux phrases dramatiques qui devaient être dites, d’autres phrases sur les Ballets russes ou historiques, les indications de ce que j’allais faire. L’écriture a déclenché une manière créative de faire que je n’avais jamais abordée auparavant. Le fait d’écrire m’a permis de mettre ensemble tous les éléments fondamentaux de la pièce. Je me suis donc donné deux semaines pour écrire un texte comme je l’imaginais. Après cette étape, je suis arrivée à la Raffinerie avec la pièce écrite qui contenait des parcours, une partition chorégraphique à réaliser. Je me suis donc mise à suivre ces indications. J’ai montré à Gaël Santisteva, qui travaille avec moi, une première proposition très fragile et il a trouvé qu’étonnamment une forme très claire était apparue. Par la suite, la pièce s’est construite de manière très logique. Nous nous sommes rendu compte que ce temps de recherche avait nourri le travail en amont et s’avérait être une méthode portant ses fruits. Il est donc apparu très naturel de réitérer l’expérience pour IDA don’t cry me love.

    Quels artistes ont été importants dans ton travail, t’apportant notamment des outils ?

    J’aime beaucoup le travail de Sophie Calle, c’est une artiste qui dit les choses d’une manière très simple, elle brouille souvent les frontières entre l’intime et le public, la réalité et la fiction, l’art et la vie. D’autres outils viennent des artistes avec qui j’avais travaillé avant, je pense par exemple à Benny Claessens. Dans son projet j’improvisais des poèmes, je devais être dans une sorte de vide pour dire et inventer les poèmes sur place. Cette expérience m’a aidée à me libérer totalement, elle m’a enlevé la peur de la vulnérabilité. Grâce à ça, j’ai pu m’émanciper et trouver ma manière d’écrire.

    1. Créée à la Raffinerie en avril 2018, dans le cadre du festival LEGS.
    2. Créée à la Raffinerie en octobre 2019, dans le cadre de la Biennale de Charleroi danse.
    Lara Barsacq est chorégraphe, danseuse et comédienne. Elle aime mêler les pistes entre archives, fictions, incarnation et documentaire. Elle cofonde l’asbl Gilbert & Stock avec Gaël Santisteva.
    Elle crée Lost in Ballets russes en 2018 et IDA don’t cry me love en 2019.
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