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    NDD # 77 – La danse comme moyen de connaissance – Entretien avec Antía Díaz Otero

    Propos recueillis par Marian del Valle.

    Qu’est-ce qui t’a conduite, dans ton parcours de danseuse-chorégraphe, à faire de la recherche académique en danse ?

    Mon engagement dans la recherche a été le résultat d’une transformation dans mon parcours. J’étais danseuse et, à un moment donné, j’ai eu besoin de faire des études. En parallèle avec mon travail artistique j’ai fait histoire de l’art et ensuite un Master en arts du spectacle à l’ULB. C’est en travaillant pour le mémoire de master que j’ai découvert un monde qui m’attirait, la recherche me faisait éprouver un sentiment proche de celui vécu dans la création artistique.

    Qu’est-ce que la recherche académique a apporté à ta pratique artistique ?

    Elle a élargi ma vision de la danse, m’a permis de prendre en compte d’autres aspects : sa charge politique, sociale, idéologique. Par la recherche j’ai commencé à réfléchir et à envisager ma pratique de la danse différemment. Elle ne se limitait pas à être sur scène ou engagée dans un processus de création, elle était aussi un moyen de connaissance. Maintenant, quand je suis en studio, je me pose des questions qu’avant je ne me posais pas : c’est quoi le propos dans cette pièce ? De quelle manière ce propos se trouve-t-il non seulement dans l’objectif mais aussi dans la méthodologie que je suis ? La recherche m’a permis de voir la danse comme une pratique qui n’est pas isolée et qui peut devenir une base solide à partir de laquelle construire une forme de vie, une forme de relation et d’être au monde.

    Le contexte universitaire a-t-il était favorable à tes recherches en danse ?

    À l’université j’ai pris le temps pour comprendre. Ma première recherche1 a été comme une sorte de court-circuit. Je suis arrivée là avec une perspective qui venait de la pratique, je ne connaissais pas les conventions académiques, j’ai donc entrepris la recherche avec une sorte de naïveté. C’est de l’intérieur, en donnant forme à ma recherche, que j’ai rencontré le cadre académique. Progressivement, en comprenant ce cadre, j’ai pu repousser ses limites, l’assouplir, le prendre comme appui et soutien.

    Quelles questions de recherche as-tu poursuivies dans ton travail de thèse ?

    Dans le mémoire j’avais travaillé sur la relation entre la présence du performeur sur la scène et l’image de l’animal. Pour mener l’étude, j’avais fait l’analyse de spectacles et de discours d’artistes. Mais il y avait toute une partie qui restait opaque ; pour y avoir accès je devais voir comment les chorégraphes travaillaient. La recherche en doctorat2 s’est donc centrée sur le processus de création et la question : de quelle manière une esthétique est-elle liée à une stratégie de travail ? J’ai choisi trois études de cas3 et de m’appuyer sur la notion de « communauté de pratiques » formalisée par Etienne Wenger4. C’est en partageant une pratique qu’on l’améliore ; par exemple les connaissances du corps circulent entre les danseurs et se crée ainsi une sorte de répertoire partagé qui permet l’évolution de la création.

    Comment les savoirs artistique et académique circulent-ils dans ta recherche ?

    Quand je suis arrivée à l’université, je me suis retrouvée entre deux mondes, j’avais l’impression de vivre deux vies parallèles. Depuis que je suis engagée dans le doctorat, ma pratique de chercheuse questionne de plus en plus cette séparation. Les dichotomies s’estompent : entre théorie et pratique, entre discours scientifique et artistique. Je crois que cette division est due à une hiérarchie des savoirs en lien avec l’histoire des institutions universitaires. Lorsqu’on est dans la pratique artistique et dans la recherche académique, on sent qu’un savoir marche vers l’autre et que parfois ils se confondent. Le dialogue entre ces deux formes de connaissance va les enrichir et permettre de transcender leurs écarts. Les catégories ne correspondent pas toujours à la réalité. Le fait d’inclure, parmi les études de cas, un processus de création dans lequel j’étais impliquée est un signe clair que j’avais besoin de faire cohabiter les deux mondes. M’appuyer sur mon vécu m’aide à découvrir d’autres focus d’attention qui peuvent éclairer les autres processus de création étudiés. À mon avis, la recherche ne se limite pas à introduire de nouveaux sujets mais aussi à remettre en question les méthodes que nous utilisons pour arriver à explorer ces sujets.

    Comment ta pratique de la danse t’aide-t-elle à faire de la recherche académique ?

    La danse me donne plusieurs outils, comme le fait de ne pas avoir peur de ne pas savoir, d’être perdue. Elle est aussi une bonne école pour apprendre à gérer notre vulnérabilité, au niveau sensible, économique, social. Elle me donne également une relation très concrète à la recherche, par exemple l’écriture de la thèse. Son processus ressemble à celui de l’écriture d’une œuvre où les matériaux gestuels et la réflexion dramaturgique dialoguent et s’enrichissent mutuellement car ils ont besoin les uns des autres pour aboutir à un tout. J’écris d’une manière presque automatique, les impressions sur les lectures, les expériences, je laisse aller. Après, en fonction du cadre, je prends de la distance pour comprendre ces matériaux : quelle pertinence ont-ils dans ma recherche ? Comment doivent-ils s’organiser ? C’est d’une manière similaire que je travaille dans le studio.

    1 « L’animalité et la performance. Étude sur la possibilité d’existence d’un instinct scénique à travers diverses expériences corporelles ».
    2 « Danse palimpseste : entre représentation et performance, entre processus et spectacle ? »
    3 Mockumentary of a Contemporary Saviour de Ultima Vez/Wim Vandekeybus, Murmurô de Cie D’ici P./Fré Werbrouck et Kind de Peeping Tom.
    4 Etienne Wenger, La théorie des communautés de pratique : apprentissage, sens et identité. Les Presses de l’Université Laval. Canada, (2005).
    Antía Díaz Otero est chorégraphe et danseuse. Elle est doctorante en arts du spectacle vivant et mène ses recherches au sein du CiASp (Centre de recherche en Cinéma et Arts du spectacle) de la faculté de Lettres, Traduction et Communication (LTC), à l’ULB.
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