NDD#87 DOSSIER Danse et réseaux sociaux : c’est viral !
Dossier coordonné par Nicolas Bras
Chaque jour, le déluge. Des corps d’animaux mignons exhibés, des corps stellaires captés sans interruption par la NASA, des millions de corps sérieux qui nous informent ou prétendent le faire… Sur Internet, les vidéos de corps en tout genre n’en finissent pas de se reproduire et de se partager. Il faudrait plus d’une vie aujourd’hui pour découvrir ce qui se produit sur Internet en un seul jour. Si depuis quelques années, l’application TikTok est devenue incontournable, quelques exemples symptomatiques confirment la place qu’occupent les corps dansants depuis YouTube et l’émergence, en 2005, des plateformes de partage de vidéos.
Commençons par évoquer l’une des premières vidéos virales d’Internet, le Technoviking. En l’an 2000, un réalisateur indépendant de vidéos, Matthias Fritsch, capture un peu par hasard un homme qui, improvise une chorégraphie frénétique, intense, virile suite à une altercation dans une parade techno. Le court-métrage vivote de festivals en festivals puis, par le hasard de l’émergence des sites de partage vidéo, cette danse se retrouve partagée, reprise, réinterprétée par des milliers de personnes (et d’avatars aussi) jusqu’à aujourd’hui encore. Le réalisateur est depuis devenu collectionneur de ces images. Quant au danseur, il subit avec amertume (et dans l’anonymat préservé) cet engouement incontrôlable ¹. En chemin, grâce à l’étude des mécanismes de la viralité en ligne, des stratégies s’installent pour diffuser massivement – le plus massivement possible – des vidéos et, là aussi, travailler la chorégraphie fait partie des outils efficaces. Simple et ludique, celle de Gangnam Style (2012) du chanteur coréen Psy, est étudiée pour être facilement reprise par des enfants et pour être diffusée autant sur la toile qu’en dehors. C’est l’une des techniques de diffusion utilisées pour faire de cette vidéo de K-pop la première vidéo au monde à atteindre le milliard de vues sur YouTube. Et qui sait si aujourd’hui, des séquences de danse ne sont pas incluses dans des séries ou des films pour induire un partage viral ? Quelle meilleure publicité pour la série Wednesday de Tim Burton que le challenge TikTok qui est dédié à la danse de sa protagoniste ? Un hommage gratuit, collectif et enthousiaste. Trois exemples pour pléthore d’itérations de ces danses qui, en ligne, circulent sans fin depuis une bonne quinzaine d’années. Forcément, ça déteint jusque sur les planches (et réciproquement).
Quelques entrées pour traiter dans ce dossier de ce flot intarissable de contenus. D’abord, un ancrage dans l’histoire de la diffusion virale ; l’histoire encore, avec le récit connu mais ici disséqué de la quadruple vie du Rosas danst Rosas d’Anne Teresa de Keersmaeker ; un détour par les sciences cognitives ; des expérimentations au cœur des flots de vidéos TikTok ; enfin, la parole aux créateurs et créatrices qui revendiquent puiser sur Internet la matière première de leurs spectacles avec les compagnies Premier Stratagème et (LA)HORDE. Même sur papier, ce sont encore les écrans qui s’imposent (promis, ça ne se répétera pas). •