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    NDD#67 Écrire le corps en mouvement | Entretien avec Mathilde Monnier

    Propos recueillis par Alexia Psarolis

    Qu’avez-vous voulu transmettre avec cette bande dessinée Mathilde, danser après tout ?

    François Olislaeger m’avait contactée car il voulait que je le fasse danser ; c’est ainsi que je l’ai rencontré. À cette époque, je préparais une pièce, Pavlova 3’23, et je lui ai proposé d’assister aux répétitions. Il est resté tout le temps des répétitions et a commencé à les dessiner. J’ai été étonnée par le tracé et l’authenticité des dessins, qui reproduisaient à la fois l’atmosphère du travail mais aussi mes propos et les retours des danseurs. Et cela à travers une forme à la fois simple, directe et légère. Le projet du livre est venu après ce temps, assez naturellement ; nous avons choisi des pièces emblématiques et nous avons réalisé une série d’interviews, où je lui ai raconté la genèse des pièces. Je lui ai également transmis un certain imaginaire autour de ces travaux. Tout ce matériau a servi au livre.

    Comment le trait peut-il capter le mouvement ?

    Le trait capte surtout une certaine direction du mouvement, il ne prend pas d’emblée la forme, il s’attache à une intention globale et surtout il écrit un corps en mouvement, orienté dans une projection de lui-même. Ce que le dessin BD apporte aussi est le potentiel de chaque case à figurer une scène, un plateau : il y a de l’espace autour du corps, il situe le corps dans un espace, ce que ne fait pas toujours la photo. À chaque dessin, la scène est reconstituée avec les dimensions de profondeur et de largeur, d’entrée et de sortie, de proximité ou d’éloignement. La BD est intéressante en ce sens qu’elle peut faire deux choses à la fois, en les juxtaposant et en les faisant dialoguer. Ce qui est différent de la scène, qui permet cela aussi mais dans une toute autre vitesse ; la vitesse ici est celle du lecteur, c’est lui qui prend le temps nécessaire pour mettre les mots et l’image en relation.

    Vous/votre personnage dites : « Parfois, il y a chez le spectateur une confusion : il regarde la danse contemporaine comme une pièce de théâtre, alors qu’il s’agit plus de l’aborder comme une peinture, une musique. C’est un art de l’indicible ». Pourquoi avoir choisi, pour restituer votre art, la forme de la BD, narrative et figurative, plutôt que la peinture abstraite par exemple ?

    Ce projet n’est pas une restitution de mon travail, c’est un objet en soi qui a une véritable autonomie ; il n’y a pas besoin d’avoir vu les pièces pour regarder et comprendre le livre. Mais la BD a ceci de particulier qu’elle est populaire et accessible à tous les publics. Je pense aux livres que François a consacré aux spectacles à Avignon, ou à Darwin (pour les enfants), ou à Duchamp. Je crois que la BD apporte de la légèreté, de l’humour et un décalage. C’est une autre façon de revisiter des thèmes parfois sérieux, compliqués et lourds ; c’est comme si la BD pouvait s’approprier n’importe quel sujet et le traiter.

    Cette bande dessinée très personnelle aborde des questions intimes : le rapport à votre sœur autiste, à votre mère, vos doutes, votre processus créatif… Le titre même, Mathilde, induit une proximité. Ce détour par le dessin permet-il de se livrer plus facilement tout en maintenant une distance due à l’interprétation graphique ?

    Je me suis rendu compte que la BD aborde la forme d’un documentaire biographique : tout ce qui apparaît dans le livre n’est pas tout à fait le réel. Celui-ci a été en partie ré-inventé et dessiné à travers un récit scénarisé par François. Il était important de lui livrer un peu de ces matériaux biographiques qui sont autant de clés pour appréhender le travail, et il fallait aussi donner le contexte dans lequel les pièces sont apparues. Par exemple, il était important d’introduire la notion de rêve, très prégnante dans mes phases de répétition. Dans ce livre, je deviens un personnage de BD, donc un personnage de scène dont les traits sont exagérés, grossis, et ce personnage commence à exister par lui-même. Il est autonome et s’invente.

    Dans la foulée du livre, vous avez co-réalisé un spectacle avec François Olislaeger, Qu’est-ce qui nous arrive ?!?, dans lequel le dessin est réalisé en direct, en gardant le style BD très graphique. Comment la BD « live » et le livre se répondent-ils ?

    A priori, les deux objets, le livre d’un côté et le spectacle de l’autre, sont très différents, ils n’ont pas de lien. La collaboration avec François Olislaeger sur Qu’est ce qui nous arrive ?!? est venue pour une autre raison. Cette pièce a été ma dernière pièce en tant que directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier et je voulais faire un projet en direction du public pour penser une forme d’identification entre les personnes qui étaient sur scène et les spectateurs. Le dessin est venu pour soutenir l’action, comme une scénographie en lien direct avec le plateau. Le dessin est aussi un support et un outil dramaturgique qui assure des fonctions précises : reprendre un détail, agrandir ou réduire une action, appuyer un mot, ramener de l’attention sur un geste, etc. ; chaque action des amateurs est mise en abîme par le dessin. Dans le spectacle, il ne s’agit pas de redessiner une situation mais au contraire d’être dans la situation et d’interagir avec elle comme un autre personnage.

    Que vous a apporté cette immersion dans l’univers du dessin par rapport à celui de la littérature (avec Christine Angot) ou de la chanson (avec Katerine) ?

    Il m’est tout à fait difficile de comparer ces expériences qui sont toutes singulières. Le temps d’un livre n’est pas celui d’un spectacle : la bande dessinée a pris presque trois ans de travail. François a bien sûr dessiné et j’ai rédigé une partie des textes ; notre collaboration s’est étendue sur trois années d’échange principalement épistolaire. •


    Planches de François Olislaeger extraites de Mathilde, danser après tout.

    Dessiner, c’est danser ?

    Le point de vue de François Olislaeger | Propos recueillis par Alexia Psarolis

    François Olislaeger est un dessinateur et auteur de bandes dessinées franco-belge. Diplômé de l’École Émile Cohl de Lyon, il devient dessinateur de presse et publie régulièrement des reportages dessinés. Après sept années de reportages au Festival d’Avignon, il publie ses Carnets d’Avignon, dans lesquels s’écrit une mémoire du théâtre contemporain. Il rencontre Mathilde Monnier, avec laquelle il entame un travail scénique et biographique dans le livre Mathilde, danser après tout. Sa bibliographie compte également la biographie Marcel Duchamp, un petit jeu entre moi et je aux éditions Actes Sud.

    Quelles sont les contraintes et/ou libertés pour retranscrire le mouvement par le dessin ? Comment un dessinateur s’immerge-t-il dans le monde de la danse ?

    En suivant le travail de Mathilde sur plusieurs années, en fréquentant les danseurs, en me posant des questions de mouvement et d’espace, en dessinant beaucoup d’après nature… le dessin s’adapte à ce langage et offre de nouvelles formes surprenantes.

    De quelle façon cette rencontre avec Mathilde Monnier vous a-t-elle enrichi ?

    En suivant les répétitions, la façon qu’a Mathilde de concevoir un spectacle de danse m’a donné une autre approche pour ma pratique de bande dessinée et m’a ouvert de nouvelles possibilités dans la manière de concevoir les livres. Nous nous sommes également retrouvés sur la notion d’espace et de regard. L’espace scénique peut être égal à la page blanche sur laquelle vont se déployer des histoires que le spectateur/lecteur pourra suivre à sa guise en faisant bouger son œil.

    Avez-vous finalement appris à danser ?

    Un petit peu, une des danseuses de Mathilde m’a appris un solo qu’elle avait écrit pour moi. Mais dessiner de la danse donne des sensations physiques et une compréhension du corps en mouvement qui, peut-être, s’en approche. •

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