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  • Nouvelles de danse

    NDD#67 DOSSIER Corps et graphie | Le dialogue intime entre danse et arts plastiques

    Dessin de Stefan Zsaitsits Window to the Garden

    Dossier coordonné par Alexia Psarolis

    Les 20 ans que la compagnie de Karine Ponties fête cette année offrent cette belle opportunité d’explorer les interactions entre ces deux disciplines artistiques : danse et arts plastiques.

    « Chorégraphier, c’est à l’origine tracer ou noter la danse », rappelle l’historienne de la danse Laurence Louppe1. Issu du grec (de khoreia, la danse, et de graphein, écrire), le terme, inventé par Feuillet2 en 1700, renvoie aujourd’hui à l’activité de création, de composition plus qu’à celle de trace. L’étymologie invite à rapprocher art chorégraphique et dessin ou peinture, ces modes d’expression graphique qui se déploient dans l’espace et le temps. Et pourtant, aussi surprenant que cela puisse nous apparaître aujourd’hui à l’ère de la transdisciplinarité, ces disciplines ont longtemps cohabité sans se soucier l’une de l’autre. Le journaliste et écrivain Philippe Verrièle remonte le temps et analyse cette (non) relation qui prévalait avant le XXe siècle entre les arts plastiques et la danse, jusqu’à ce moment de basculement : la modernité.

    Saisir ce qui se joue dans cette relation artistique, entrer dans l’intimité de cette aventure, c’est ce que nous avons tenté de faire, en recueillant les paroles d’artistes. Ce dossier met en exergue trois démarches contemporaines qui, de par leur originalité, méritent que l’on s’y attarde.

    Karine Ponties, chorégraphe française installée à Bruxelles, met des mots sur ce dialogue ininterrompu qu’elle mène depuis plusieurs années avec des dessinateurs, peintres ou illustrateurs. Approcher un autre territoire est une façon pour elle de se bousculer, de se mettre en danger, de confronter « la fixité de la matière en mouvement et la réalité vivante des corps ». Ses compagnons de création ? Thierry van Hasselt, un des chefs de file de la nouvelle vague de la BD belge et fondateur du Frémok3, auquel elle s’associe sur les spectacles Brutalis et Holeulone. Avec Stefano Ricci, la chorégraphe découvre une « débauche de matières ». Pastels à l’huile, crayons lithographiques et pigments font surgir des images que le dessinateur italien a très vite envie de mettre en mouvement. De leur interaction naîtra Humus vertebra. L’univers singulier de l’illustratrice Beatrice Alemagna est également une inépuisable source d’inspiration, tout comme celui de Stefan Zsaitsits et d’autres encore.

    Des croquis sur des carnets de notes, c’est ainsi que Mathilde Monnier prépare ses chorégraphies. Dessiner, pour elle, « c’est écrire le corps en mouvement ». Le jour où le dessinateur et auteur de BD franco-belge François Olislaeger contacte la chorégraphe pour qu’il lui apprenne à danser, elle accepte immédiatement… mais leur projet initial prendra finalement une toute autre forme : celle d’une bande dessinée où François et Mathilde sont devenus des personnages graphiques. Alternant planches en noir et blanc et jaillissement de couleurs, la BD Mathilde, danser après tout4 est un ovni dans la production choré-graphique. Abordant la genèse des pièces, elle suit le processus créatif de la chorégraphe, livre ses doutes et ses réflexions. Un documentaire biographique qui ne se résume en rien à une restitution de ses œuvres mais une façon originale d’approcher un univers artistique avec tout l’humour et le décalage que permet la BD.

    Quand danse et dessin se confondent, l’expérience sur scène est des plus surprenantes. Vincent Glowinski est ce « dansinateur » qui a franchi les frontières et qui, de son corps a fait un pinceau humain. C’est donc tout naturellement qu’il intitule sa première performance Human Brush, qui préfigure Méduses, présentée la saison dernière au Théâtre national de Bruxelles. Issu des arts plastiques et du street-art en particulier, l’ancien graffeur se lance à corps perdu dans la performance suite à sa rencontre avec un programmeur, Jean-François Roversi. Ce dernier a développé un dispositif qui permet de projeter sur écran les traces que le danseur laisse en se mouvant sur scène. Naissent ainsi sur la « toile » de multiples figures issues du monde animal… Dessiner avec son corps, sans pinceau ni autre outil, une prouesse et un spectacle dont on sort réellement… médusé. •

    1 Laurence Louppe, Danses tracées, éditions Dis Voir, 1991.
    2 « Raoul-Auger Feuillet fait carrière à l’Académie royale de musique. Il publie en 1700 un système de notation des pas de danse, Chorégraphie, ou l’art de décrire la danse. Le système Feuillet est la première écriture de la danse par signes inventés, inspiré de la notation musicale. » Encyclopédie Universalis.
    3 Maison d’édition franco-belge spécialisée dans la littérature graphique.
    4 Mathilde Monnier, François Olislaeger Mathilde, danser après tout, éditions Denoël Graphic/CND, 2013.
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