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  • Nouvelles de danse

    NDD#66 L’enfance de l’art (de la danse)

    Félicette Chazerand Rembobine © Alice Piemme

    Par Martine Dubois

    Ateliers corps et mouvements, résidence d’artistes dans les écoles, spectacles destinés aux jeunes ou aux familles… Depuis plusieurs décennies, les propositions se multiplient pour initier les plus jeunes à la danse contemporaine. Petit tour d’horizon d’un secteur en pleine vitalité mais trop peu reconnu.

    Loin de Danse avec les stars, des clips ou des petits rats en tutu rose, la danse contemporaine pour enfants force peu à peu la porte des théâtres et des écoles. Paradoxalement, pour les jeunes comme pour nombre d’adultes, aborder une danse abstraite dont les codes semblent échapper à une première lecture est tout sauf une évidence. Négligés par les pairs, confrontés à des conditions de représentation parfois difficiles, peu soutenus structurellement par les institutions, les chorégraphes qui s’adressent au jeune public peinent à s’imposer alors que leur action est fondamentale. « Pourquoi cette différence, alors qu’on parle tellement le même langage ? », souligne Caroline Cornelis (Cie Nyash). La danse contemporaine pour les enfants intéresse trop peu les chorégraphes.

    Une histoire tempo lento

    L’histoire de la danse contemporaine en Belgique commence à Mudra, école fondée en 1970 à Bruxelles par le chorégraphe français Maurice Béjart. Il faudra attendre les années 80 et la fin du règne du chorégraphe pour que les premiers créateurs s’affirment. Ils exploseront dans les années 1990-2000, âge d’or de la danse en Fédération Wallonie-Bruxelles.

    Pendant ce temps, la danse jeune public en est à ses balbutiements : quelques tentatives en ordre dispersé, des initiatives sans lendemain, peu de productions d’envergure. C’est que tout est à inventer. Quelques pépites resteront dans les mémoires : Boitman, l’homme-aux-caisses-en-carton par Un œuf is un œuf (1997), avec un Gilles Monnart extraordinaire, ou encore Toaster Twist, de Diane Moretus, avec le groupe musical Légitime Démence (1998). Certes, quelques spectacles entreront dans la danse tout public sans avoir été conçus pour les jeunes. Mais le réseau des scènes pour les enfants et les adolescents fait de la résistance théâtrale. Le texte, le verbe, l’histoire sont au centre des préoccupations scolaires et scéniques. Le geste n’est là qu’en soutien et l’abstraction semble au-delà de la portée des chères têtes (blondes). Bref, le désert ou presque.

    2000 semble l’année de tous les possibles, particulièrement à Bruxelles, alors Capitale européenne de la culture. Le Bal Moderne réunira quelque 100 000 participants pour un flashmob avant l’heure. L’idée venue de France devient 100 % belge et le succès ne s’est pas démenti depuis. Autre point fort, la Zinneke Parade, suivie par 300 000 spectateurs. Là aussi, des chorégraphes s’impliquent fortement. La rue danse. Le terreau est favorable.

    La même année, la chorégraphe Félicette Chazerand crée Carte postale et découvre un autre monde. « Je ne m’étais pas ciblée jeune public, mais quelques personnes du milieu ont repéré le fait que je pouvais faire des ponts avec les publics. Lorsque j’étais en partenariat avec des structures, nous mettions en place des projets en parallèle de la création : des formations, des animations, des ateliers, des représentations dans les écoles. » Créatrice et pédagogue, elle a été séduite par ce nouveau public. Forte d’une quinzaine de créations, la compagnie s’est imposée petit à petit, avec de belles réussites comme À l’ombre des arbres ou Spirale. D’autres viendront la rejoindre : Iota, Un œuf is un œuf, Irène K (en communauté germanophone), Nyash et, plus récemment, XL Production. Mais les réticences persistent : la danse contemporaine est difficile pour les enfants.

    Depuis quelques années, la situation évolue. Félicette Chazerand songe davantage à transmettre son expérience, Caroline Cornelis (Cie Nyash) conforte sa position avec des productions de qualité, pendant que d’autres émergent, comme celles de Colline Étienne (Cie ALAkSHAk) ou tout récemment de Javier Suárez (Cie L’Inconnue). Des chorégraphes confirmés créent aussi des spectacles pour enfants : Maria Clara Villa-Lobos (XL Production) et son Têtes à Têtes ou Thomas Hauert (Cie Zoo) et Danse étoffée sur musique déguisée. Enfin, des compagnies de théâtre jeune public intègrent la danse dans leurs projets, comme le Zététique théâtre avec Petites Furies ou le Théâtre de l’E.V.N.I. avec Yosh. En ce début d’année, le festival Pays de danse propose une programmation spéciale ; au printemps, ce sera le tour du D Festival au Marni. La danse contemporaine pour les enfants prend du galon.

    Réseau privé

    Les compagnies de danse jeune public ont intégré tout naturellement les associations pour l’enfance et la jeunesse (voir encadré p. 15). Celles-ci organisent des animations, des formations à destination des enfants ou des enseignants, une programmation tout public, des publications ainsi que des festivals internationaux qui ont donné peu à peu une visibilité aux créations danse : Turbulences (CDWEJ) à Namur et Météores (Pierre de Lune) à Bruxelles ou encore Noël au Théâtre (CTEJ). D’abord centrées sur le théâtre, ces associations se sont ainsi peu à peu ouvertes aux autres arts vivants. Dans la foulée, théâtres et centres culturels ont développé des programmations spécifiques, avec, en première ligne, le Centre culturel Jacques Franck (Saint-Gilles, Bruxelles).

    Les Rencontres de Théâtre Jeune Public à Huy sont une porte d’entrée unique dans le circuit ad hoc (voir p. 15). Les créations sélectionnées y obtiennent le précieux sésame pour recevoir une aide financière à la diffusion scolaire et aux tournées 1. Il faudra cependant attendre 2010 pour que Huy s’ouvre officiellement à la danse. Paradoxe : les créateurs s’adressent à des enfants, mais doivent convaincre programmateurs, enseignants et parents.

    La danse jeune public se noie malheureusement dans la masse des spectacles proposés (13 spectacles sur 108 dans le catalogue Spectacles à l’école 2015-2016). Pourtant, la progression a été fulgurante. Les champions des tournées 2014 ont été le Zététique théâtre et la Cie Nyash2. Si les chiffres restent modestes, les résultats de la dernière cuvée des Rencontres de Huy sont encourageants : parmi une sélection de 37 spectacles, Stoel, une chorégraphie de Caroline Cornelis (Cie Nyash), remporte le Prix de la Ministre de l’Enfance, Joëlle Milquet, et reçoit un coup de cœur de la presse ; Alibi, un haïku chorégraphié sur gazon par Fujio Ishimaru (Théâtre de l’E.V.N.I.), se voit, quant à lui, décerner le Prix de la ville de Huy, récoltant un autre coup de cœur de la presse. La danse contemporaine fait irruption dans le réseau très privé.

    Parcours fléché

    Les spectacles jeune public ont la particularité de se définir, non par leur langage ou l’objet de la création, mais par leur public : tout-petits (2,5-5 ans), jeune public (qui se décline en « à partir de … », « de … à … ») ou tout public (adultes admis). Cet étiquetage qui peut paraître arbitraire facilite le choix des organisateurs et donne des repères aux enseignants. Il ne viendrait à l’idée d’aucun chorégraphe de sous-titrer son spectacle « pièce pour adultes », la spécification ouvrant dans ce cas la porte à tous les sous-entendus. Jeune public, donc, comme une garantie rassurante. Le spectacle a été pensé pour les enfants et les accompagne dans leur développement : éveil sensoriel, ouverture au monde, projection dans l’imaginaire pour mieux comprendre le réel, sans tomber dans le piège d’une vision idéalisée et stéréotypée. « L’audace est nécessaire, mais je n’ai pas envie de leur faire peur, de les fragiliser », confirme Caroline Cornelis. Exit donc le surjeu et le rose bonbon.

    Et les ados ? Peu de spectacles spécifiques mais beaucoup de propositions hors circuit « jeune », notamment dans le dialogue entre danse, hip-hop ou break-dance qui se dessine depuis quelques années (notamment au Centre culturel Jacques Franck). Beaucoup de pièces peuvent en fait s’adresser aux publics plus jeunes sans en avoir le label. La danse contemporaine balaie les étiquettes.

    Un langage, des langages

    Créer pour le jeune public impose-t-il des codes particuliers ? Si l’on interroge les chorégraphes attitrés : rien ne change parce que tout change ! Plus simplement, l’exigence de qualité est la même : il faut être attentif au temps, à l’espace, à l’écriture chorégraphique, au son, au public, mais on n’a pas droit à l’erreur avec les plus petits. Les mots qui reviennent : le rythme, le jeu, la perception, les surprises, le rapport au public. Pour Félicette Chazerand, « on doit faire attention à tout parce que l’enfant vit avec toi ce que tu fais ». « Il faut trouver à quoi il joue pour qu’il puisse jouer avec nous », ajoute Caroline Cornelis. Bref, tout est possible, que ce soit le noir, le silence, la poésie, l’humour, des choses plus dramatiques ou spirituelles, pour peu qu’on l’amène à l’accepter.
    La danse contemporaine entre dans le jeu. Et si on laissait tous les clichés, clivages et frilosités au vestiaire ? Si on y allait, tout simplement ? Alors, on danse ? •

    1 Les Tournées Art et Vie (Service de la Diffusion des Arts de la Scène en FWB) visent à favoriser la programmation de spectacles vivants de qualité dans des lieux de diffusion culturelle en Wallonie et à Bruxelles, par l’octroi d’une subvention par représentation.
    2 Rencontres de Théâtre Jeune Public à Huy, bilan 2015.
    Longtemps membre du Conseil de la danse dont elle a assuré la présidence durant quatre ans, Martine Dubois a collaboré à de nombreux médias. Elle enseigne actuellement à la Haute école Galilée et dispense des formations à destination des enseignants.

    Caroline Cornelis/Cie NYASH Stoel © Gilles Destexhe

    Petit mode d’emploi à destination des enseignants

    Est-ce que la danse, c’est difficile à comprendre ?

    Le geste est-il plus difficile à aborder que la parole ? Le langage des corps est universel, même si nous vivons dans une société de parole. Il ne faut pas vouloir tout comprendre. C’est le ressenti qui compte, les images que l’on reçoit, le dessin que trace le mouvement.

    La danse a-t-elle sa place à l’école ?

    Mille fois oui ! L’art, la culture et particulièrement le spectacle vivant d’aujourd’hui contribuent à développer l’esprit. L’école forme les spectateurs de demain.

    Comment choisir le bon spectacle ?

    Théâtres, centres culturels, festivals… L’offre est immense. Les compagnies proposent souvent galeries de photos et extraits filmés en ligne. Pourquoi ne pas laisser les élèves choisir ?

    Faut-il les préparer ?

    Aller au théâtre doit être une aventure ! Consultez le traditionnel dossier pédagogique, organisez un atelier ou une animation, ou laissez-leur le plaisir de la découverte.

    Est-ce qu’ils vont aimer ?

    Pourquoi pas ?

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