NDD#65 Petite cartographie des initiatives
En juin dernier, on pouvait lire dans une interview de l’actuel directeur de l’Opéra de Paris, Benjamin Millepied : « Enfin, j’introduis à l’Opéra une véritable médecine de la danse, méconnue en France mais qui existe aux États-Unis depuis trente ans. Les danseurs sont des athlètes du plus haut niveau à qui on a trop inculqué le devoir de souffrance. Rien n’existait dans cette maison en dehors de deux kinésithérapeutes. Il faut impérativement promouvoir une culture plus respectueuse du corps 1. » Ainsi la santé est-elle mise en avant dans une des compagnies les plus célèbres, avec au programme des cours de Pilates, de Gyrotonic, de yoga et un horaire de répétition soucieux de la récupération physique des danseurs qui s’entraineront désormais dans de meilleures conditions, sur un plancher tout juste rénové. La compagnie reçoit également une plus grande attention médicale en passant de deux kinésithérapeutes à une équipe de six professionnels composée de médecins du sport, ostéopathes et masseurs. Récent à l’Opéra, ce réveil d’une certaine médecine de la danse s’observe à l’étranger depuis quelques années au travers de différentes initiatives et organisations.
L’International Association for Dance Medicine & Science
Si le premier article scientifique traitant de la santé des danseurs fut publié en 1935 2, il faudra attendre l’explosion de la danse des années 70 aux états-Unis pour que se développe une réelle médecine de la danse. Suivra en 1990 la création de l’International Association for Dance Medicine & Science (IADMS) qui représente aujourd’hui la plus grande organisation en son genre au monde. Forte de plus de 900 membres issus de 35 pays, elle a pour mission d’améliorer la santé, le bien-être, la formation et la performance des danseurs via ses activités de recherches et son propre journal scientifique (Journal of Dance Medicine & Science). En outre, elle promeut le dialogue entre danseurs, pédagogues et professionnels de la santé en organisant une réunion annuelle.
Performing Health
L’association Performing Health témoigne de cet « exemple américain ». Créée en Suisse en 2014, l’association s’est répandue aux États-Unis, au Brésil, en Hollande et à Puerto Rico. Parce que la qualité des mouvements du danseur est dépendante de sa condition physique et psychique, elle propose d’accompagner les danseurs en formation par des techniques de coaching, des conseils nutritionnels et des séminaires axés sur la prévention des blessures. La santé est, selon cette association, difficile à maintenir dans le contexte socio-professionnel de la danse. Diplômée de la section danse de la Juilliard School et enseignante en sciences comportementales à l’université de Columbia, la fondatrice Adrienne Stevens met l’accent sur la nécessité de posséder des « outils » permettant de maintenir une estime de soi et de construire des objectifs réalistes à court et long terme. Ainsi précise-t-elle que, contrairement à l’athlète qui récolte les lauriers de ses records, le danseur est accoutumé à se battre pour atteindre un « objectif de perfection ». En découle un sentiment d’insatisfaction quasi permanent qui fournit une image de soi parfois dévaluée. Y sont également développées des techniques aidant à surmonter les moments plus difficiles de la carrière : les concours ou les périodes de blessures et de convalescence. Plus que des conseils, il s’agit d’élaborer de réelles « stratégies » visant à la protection du danseur.
Safe in Dance International, The National Institute of Dance Medicine and Science et le RBBF
Partant de l’idée que pratiquer son art dans un environnement sécurisant est un droit, l’organisme anglais Safe in Dance International (SiDI) a élaboré un certificat destiné aux professeurs de danse. Ce dernier repose sur dix principes de base parmi lesquels on retrouve la prévention et la gestion de la blessure, la nutrition, les aspects psychologiques de la pratique ainsi qu’un cours d’anatomie et de biomécanique. Créée par la danseuse Maggie Morris et le photographe Matthew Tomkinson en 2013, l’association collabore avec le National Institute of Dance Medicine and Science, un centre fondé en 2012 qui promeut un meilleur partage des connaissances en la matière ainsi qu’un accès aux soins pour tout danseur. Trois pôles composent son programme : la recherche scientifique, une pratique médicale multidisciplinaire ainsi qu’un pôle à visée pédagogique. Aussi met-il plusieurs lieux de consultations gratuites à disposition des danseurs (les « Dance Injury Service » au sein des « National Health Service »). Le Royaume-Uni possède également un fonds, le RBBF (The Royal Ballet Benevolent Fund), destiné à pallier les insuffisances financières des danseurs en cas de blessures.
Maux d’artistes, Gjuum et Beyond
Une des premières initiatives en matière de santé pour les danseurs en France fut celle du chirurgien Vincent Travers. Son association Maux d’artistes, créée en 1991, initialement dédiée aux musiciens, ouvrira également ses portes à la danse. En allant voir une fois par semaine les danseurs au Conservatoire de Lyon, le médecin s’était vite rendu compte de l’absence d’entourage médical. Ainsi notait-il il y a vingt ans déjà que, faute de conscience collective, la France avait du retard par rapport aux États-Unis, et que « les élèves du Conservatoire devraient être suivis par une équipe médicale formée aux pathologies spécifiques à leur apprentissage3 ». Parmi les autres initiatives européennes, citons l’organisme anglo-allemand GJUUM, créé en janvier 2014, où se côtoient scientifiques, physiothérapeutes, psychologues du sport, et maitres de ballet. Ou encore BEYOND, aux Pays-Bas, qui succède en 2012 aux conférences « Ballet : Why and How ». Ces dernières s’intéressaient à l’époque à l’importance de la technique dans les écoles de danse. Aujourd’hui, outre son intérêt pour les questions pédagogiques, artistiques et patrimoniales, cette association veille à la santé des danseurs en promouvant une pratique « intelligente » de la danse, tant du point de vue physique qu’émotionnel. Elle collabore notamment avec le ArtEZ school of Dance (aux Pays-Bas) et Ballettakademien (en Suède). En organisant des conférences et des workshops, BEYOND met l’accent sur la prévention, les conseils et les traitements. Son but est d’offrir au danseur une approche multidisciplinaire qui prenne en compte l’évolution de son métier et les avancées de la médecine.
L’Association Danse Médecine Recherche et le premier Forum International Danse et Santé
À Monaco, l’Association Danse Médecine Recherche (ADMR) promeut depuis 2006 une recherche médicale et scientifique spécifique à la danse. Via ses conférences, projets de recherche, publications, forums et stages, elle a pour mission de développer le transfert de connaissances entre cliniciens, pédagogues et artistes. Elle fut par ailleurs présente lors du premier Forum International Danse et Santé, organisé en novembre 2014 par le Centre National de Danse à Paris : deux jours destinés à « la visibilité des dispositifs existants, des démarches initiées dans les écoles, les compagnies, les organismes pour soutenir le développement d’une médecine adaptée aux spécificités de la danse4 ». Si des initiatives porteuses ont déjà vu le jour dans des écoles et compagnies de danse françaises5 et que le CND travaille à la problématique depuis quelques années (pensons notamment aux « Lundis de la santé » qui, entre 2004 et 2011, ont consacré 35 rencontres aux « enjeux d’éducation, de nutrition et de prévention des risques liés à la pratique professionnelle de la danse6 »), cette conférence en renforce la présence et donne le ton : la santé du danseur est désormais à l’agenda. •