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  • Nouvelles de danse

    NDD#63 Sublimer la différence

    Magalie Saby, Anne-Gaëlle Thiriot et Mirjam Gasser © Pedro Machado / Candoco

    Par Magali Saby

    En tant qu’artiste/interprète en fauteuil roulant, j’ai toujours eu ce désir ardent de pouvoir m’épanouir professionnellement au sein de mes deux domaines artistiques : la danse et le théâtre.

    J’ai commencé le théâtre et la danse très jeune, à l’âge de huit ans ; malheureusement j’ai arrêté pendant une longue période pour des raisons de santé. Durant mon master sur la chorégraphe allemande Pina Bausch, j’ai eu l’opportunité de reprendre des cours de danse contemporaine basés sur la technique de José Limón ainsi que sur la notion de créations individuelles et collectives. Étant en situation de handicap, j’éprouvais le besoin de me surpasser, de bien faire, d’aller toujours au-delà de mes limites. Je me suis longtemps inspirée de l’origine même de ma différence. De cette étrange mobilité que j’ai haïe durant des années. J’ai travaillé sur mes souvenirs inconscients. Sur ces mouvements désordonnés, incontrôlables, involontaires, sur cette raideur spastique mais également sur la faiblesse musculaire. La contradiction même de ma pathologie. Il y a encore quelques années, j’étais enfermée dans ce corps sans pouvoir trouver de liberté. La liberté, c’est important également. Le lâcher-prise, la non-anticipation, ne pas se regarder, oser, accepter de montrer ce corps-là à un moment donné, annihiler ses propres jugements, la gêne, accepter la chute, accepter de ne pas être parfaite. Je pense que j’avais besoin d’explorer un vocabulaire corporel qui ne m’était pas familier. À partir de cette expérimentation, plusieurs interrogations personnelles ont également nourri ma réflexion. Qu’est-ce qu’un corps différent ? Qu’est-ce que la normalité ?

    Dernièrement, j’ai eu le privilège d’être engagée au sein de plusieurs projets artistiques et internationaux : « Integrance 1», « Verflüchtigung 2», projets artistiques, financés par la Commission Européenne, réunissant des artistes professionnels, valides et en situation de handicap. Lors de ces divers voyages professionnels à l’étranger, j’ai constaté qu’en France nous avions tendance à proposer principalement de la danse-thérapie plutôt qu’une production exclusivement artistique et professionnelle. La danse-thérapie peut-être intéressante s’il y a une réelle implication du danseur valide. Que le danseur valide et en situation de handicap ne fassent plus qu’un. Qu’il existe une réelle symbiose aussi bien humaine qu’artistique. Malheureusement, en France, la danse-thérapie est trop souvent réductrice. Au lieu de magnifier le handicap, on l’expose de manière négative. Vient alors le questionnement de ce qui est éthique et de ce qui ne l’est pas. Peut-on tout montrer sur scène ?

    Il me paraît également essentiel de me nourrir de différentes méthodes d’enseignement afin d’observer comment la danse et le handicap peuvent se marier harmonieusement. Aller en Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne, etc. Les spectateurs ne viennent pas regarder des personnes en situation de handicap qui dansent. Ils viennent applaudir des artistes sur scène. Il n’est pas nécessaire d’occulter la différence mais au contraire de la sublimer. Il m’apparaît important dans certaines situations que les appareillages tels que le fauteuil roulant, ou encore les béquilles, perdent leur fonction initiale pour devenir des outils scéniques au service de la création. Faire connaître aux danseurs d’autres possibles (station debout, toucher, sol, etc.). En France, les artistes en situation de handicap souffrent d’un manque de reconnaissance, réalité que je ne retrouve pas dans certains pays tels que l’Allemagne, l’Angleterre ou encore les États-Unis. Il y a plusieurs points qui me semblent importants d’aborder.

    Légitimer la pratique chorégraphique pour les artistes en situation de handicap

    L’ouverture du Conservatoire aux personnes en situation de handicap. Faute de formations adaptées, très peu de conservatoires sont ouverts aux danseurs en situation de handicap. Cette année, le CND 3, en accord avec l’association CEMAFORRE4 a conçu plusieurs cahiers pédagogiques consacrés à la question du handicap : un outil précieux pour tous les enseignants et professionnels de la danse. C’est une belle initiative à souligner, mais il faut aller plus loin.

    Il devient impérieux de développer un centre des arts de la scène qui proposerait en France une formation pluridisciplinaire à destination aussi bien des artistes valides que de ceux en situation de handicap. En outre, ce centre pourrait permettre aux professionnels du spectacle vivant d’engager des artistes pour leurs projets artistiques. Montréal propose déjà une formation professionnelle, Les Muses 5, qui favorise l’intégration des élèves dans le milieu professionnel.

    Comme dans tous les métiers, être artiste (chorégraphique, dramatique, etc.) ne s’improvise pas et demande rigueur, pratique et théorie. Par un apprentissage professionnel, nous pourrions ainsi atteindre, pas à pas, une reconnaissance sociale comme n’importe quel artiste. La sensibilisation des pratiques artistiques à destination des personnes handicapées commence, selon moi, au sein de l’enseignement. En attirant l’attention des institutions pédagogiques, le corps professoral pourrait adapter l’éducation physique afin qu’elle soit accessible aux personnes atteintes de différentes pathologies.

    Informer, sensibiliser et annihiler les idées reçues sur le handicap

    Dans certaines situations, un danseur sourd et muet peut danser le Hip-hop ou le Breakdance à la perfection et une danseuse en fauteuil roulant peut réaliser de magnifiques portés, debout, avec un partenaire. Tout dépend de la pathologie et de son degré. Durant mes premiers cours de danse, je n’ai jamais dansé en fauteuil roulant. Toujours debout, à la barre de ballet, avec l’aide de partenaires, ou bien au sol. C’est vrai qu’il existe un paradoxe, nous pouvons difficilement comprendre qu’une personne en fauteuil roulant puisse subitement se lever et danser la valse avec un partenaire. Désormais, j’essaye d’utiliser également le fauteuil roulant sans pour autant perdre la sensation d’être debout ou même au sol car j’en éprouve le besoin. J’ai parfois encore l’impression que le fauteuil roulant est un carcan car mes mouvements me semblent limités. Je n’ai pas toujours l’occasion de danser en duo, donc debout, et les périodes de répétitions sont malheureusement de plus en plus courtes. Nous n’avons pas toujours le temps d’approfondir la recherche, de tester, d’essayer. C’est bien dommage lorsqu’on travaille avec des artistes divers et atypiques. Faire avec les possibles de chacun.

    Instituer des projets professionnels ouverts aux artistes valides et en situation de handicap

    Je reste attristée de constater qu’en France et en Belgique, il n’existe pas de compagnies professionnelles à l’égale de Candoco Dance Company ou encore Stopgap Dance Company (Londres). Il y aussi la peur de l’inconnu, de l’autre, différent. Une appréhension pour les directeurs de casting, les metteurs en scène, réalisateurs ou chorégraphes d’engager des artistes en situation de handicap. Nombreux sont les castings où j’ai été sélectionnée sur CV et photos et après gentiment refusée car j’étais en fauteuil roulant, différente de la norme. Les directeurs de casting préfèrent engager des acteurs valides (Marion Cotillard dans De rouille et d’Os, François Cluzet dans Intouchables, etc.) pour incarner des rôles en situation de handicap tout simplement pour une question d’assurance et bien sûr d’audience ! Je souhaite que les expériences que j’ai vécues à l’étranger ne s’arrêtent pas maintenant mais puissent commencer en France et en Belgique et surtout perdurer. Peut-être avec la création d’une compagnie professionnelle et inclusive. Je rêve du jour où on engagera à part égale des artistes valides et en situation de handicap. Ce serait pour moi cela la véritable définition de la scène contemporaine.

    1 « Integrance », projet chorégraphique réunissant quatre compagnies et structures inclusives professionnelles et internationales (Belgique, Angleterre, Écosse et France)
    2 « Verflüchtigung », création allemande abordant le chant, la danse, le cirque et le théâtre
    3 Centre National de la Danse, Pantin
    4 CEMAFORRE, Pôle européen de l’accessibilité culturelle
    5 Les Muses, Centre des arts de la scène, Montréal
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