Alexia Psarolis
Le krump, l’énergie d’être soi – Entretien avec Hendrickx Ntela
Hendrickx Ntela, danseuse belge d’origine congolaise, évoque ici sa rencontre décisive avec le krump, style de danse « street » dont elle est la figure de proue en Belgique. Mille%, le krump en création, documentaire réalisé par Catherine Wielant projeté à Contredanse, dans le cadre du Mois du Doc, suit cette passionnée de mouvement, de musique et de cinéma pendant la création de sa pièce Blind, qui allie musique live et musique krump. Rencontre avec la Queen du krump, artiste aux « 10 000 projets » qui marche à mille à l’heure.
Comment as-tu découvert le krump ?
Je pratiquais l’athlétisme à l’école. La danse, pour moi, était quelque chose de naturel que je n’envisageais pas comme un métier. Vers 15-16 ans, je suis allée dans une Maison de jeunes, à Verviers, où j’ai commencé à pratiquer le hip hop en cachette, car mes parents ne voulaient pas que je danse. Suite à l’attentat qui a eu lieu à Liège, en 2011, des krumpers ont rendu un hommage aux victimes qui a été retransmis à la télévision. Cette énergie-là m’a tout de suite parlé. J’ai alors contacté Pierre Anganda (danseur et chorégraphe, ndlr) qui m’a dirigée vers la Maison des Jeunes, à Liège, où j’ai découvert cette danse. Ça a été un choc !
Quelle a été la suite de ton parcours ?
Grâce à la formation 1000 Pièces Puzzle, organisée par Cindy Claes au Zinnema, en collaboration avec East London Dance, j’ai appris à faire un pitch, à présenter mon projet devant un jury, comment écrire. Gagnante du programme, j’ai obtenu des financements et ai fondé ma Compagnie Konzi – du congolais, « bokonzi », ce qui est royal-. To Be a Slave est mon premier spectacle. Puis, en 2019, j’ai suivi la formation Tremplin hip hop, avec des intervenants comme Romuald Brizolier, co-fondateur de RAF Crew et de la Compagnie Art-Track. J’essayais de développer ma propre danse, ma vision de la création et du mouvement. Entretemps, j’ai dansé dans d’autres compagnies en France, notamment avec la danseuse et chorégraphe Alesandra Seutin, une artiste qui m’a fait grandir et à qui je dois beaucoup. Je dois également citer Flora Chassang (alors programmatrice à Lezarts urbains), une personne très importante dans mon parcours que je considère comme mon ange gardien.
Comment le krump s’est-il inscrit dans ta vie ?
Je n’avais jamais vécu ça auparavant, des personnes qui me soutiennent et me donnent spontanément de l’amour sans me connaître. Je ne savais pas comment danser le krump, mais j’ai juste pris l’énergie qu’elles me transmettaient. Je me suis sentie enfin à ma place, moi qui étais – et suis encore – une personne très introvertie. J’ai trouvé une deuxième famille, un endroit où je me sens bien, une manière de m’exprimer de façon brute, sans devoir paraître d’une certaine manière… Le krump, c’est l’énergie d’être soi, avec sincérité et honnêteté ; c’est pour cette raison que cette danse m’a touchée. Pour moi, le krump a été pendant longtemps une thérapie car, dans cette danse, tu dois avoir confiance en toi.
Quel est ton rapport au collectif ?
Le krump est une danse communautaire, c’est du partage, un royaume (krump est d’ailleurs l’acronyme de Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise, élévation du royaume par le puissant éloge). Il existe des familles krump, c’est très hiérarchisé. Ma famille krump s’appelle Drickx, le personnage que j’ai développé en tant que « chef de famille ». Père et mère, je suis tout en même temps. En-dessous, les Lil Homies sont les petits de la famille, sœurs ou frères : Baby Drickx, Princess Drickx, Lady Drickx, Queen Drickx. Tu reçois officiellement ton grade selon ta personnalité, ton niveau ou ton affinité avec le Big Homie (l’entraîneur, le père de la famille, rôle de mentor, ndlr) au cours d’un battle. Mon Big Homie m’a décerné le titre de « Queen » en raison de mon investissement dans le mouvement et dans la création.
La pièce Blind, au cœur du documentaire Mille%, marque-t-elle une étape importante ?
J’ai commencé à trouver ma plume en tant que chorégraphe avec cette deuxième pièce, créée au Théâtre de Liège, en collaboration avec des musiciens live. Elle interroge la liberté de nos choix et dénonce notre aveuglement : est-ce qu’on réfléchit par soi-même ? Qu’est-ce qui nous influence ? Des questions qu’on se posait avec Dexter (Pierre Dexter Belleka, ndlr). Lui habitait au Sénégal, moi en Europe, on avait deux visions différentes de la société. La pièce a permis de faire découvrir mon travail, c’est un peu ma carte de visite. Ma nouvelle création traite des choses qu’on ne comprend pas, avec une dimension encore plus spirituelle que Blind, plus politique. Je suis croyante et selon moi, ce qui (nous) arrive n’est jamais anodin.
Est-il difficile d’être une femme dans le milieu du krump ?
On me pose tout le temps cette question ! J’ai fait partie du collectif 100% féminin One Nation, qui m’a beaucoup aidée d’un point de vue chorégraphique. Je ne travaille quasiment qu’avec des garçons, je n’ai pas eu de problèmes en tant que femme dans ce milieu ; on m’a beaucoup soutenue.
Je pense qu’aujourd’hui, on me considère comme pionnière parce que j’ai ouvert à la création, j’ai fait entrer le krump dans les théâtres en Belgique et à l’international. Pierre Thys (ancien directeur adjoint au Théâtre de Liège, aujourd’hui directeur général et artistique du Théâtre National) a cru en moi et m’a encouragée. Être artiste associée au Théâtre National donne une crédibilité à mon travail et à ce style de danse.
Prochaines dates :
Le 21 novembre 2025 : Projection du court-métrage Mille%, le krump en création de Catherine Wielant, au centre de documentation de Contredanse, dans le cadre du Mois du Doc.
Février 2026 : Blind dans le cadre de Pays de Danse au Théâtre de Liège
Le 18 avril 2026 : Blind, au Delta, à Namur
