Alexia Psarolis
Protocole DasArts : les vertus de la critique productive – Entretien avec Mathilde Villeneuve

Habitué à accueillir les artistes en résidence, le centre d’art Buda, à Courtrai, a mis en place un cadre d’échanges avec les artistes et des groupes de spectateurs et spectatrices-tests. Le protocole DasArts qui sert d’outil garantit un espace sécurisé d’expression et de liberté.
Comment les artistes en résidence sont-ils accueillis à Buda ?
Buda reçoit en résidence 80 compagnies par an, pour une durée moyenne de deux semaines. Un mail de confirmation qui explique précisément les conditions de la résidence est envoyé à l’artiste un an avant. Quelques mois avant leur arrivée, un mail de bienvenue est envoyé aux artistes ainsi qu’une charte éthique désignant une personne de confiance. Cette charte sert de cadre de référence et de contrat moral de la collaboration, afin de prévenir toute situation de discrimination et de débordement. Un membre de l’équipe est dédié à l’accueil des artistes en résidence. La résidence offre accès à différents types d’espaces (bureaux, techniques, studios), le logement est pris en charge ainsi que les repas du midi (grâce à des bénévoles). Les techniciens apportent leur aide aux artistes, tandis que l’accompagnement artistique est assuré par l’équipe de Buda. Nous prenons réellement soin de cet accueil.
À cela s’ajoute l’équipe de spectatrices et spectateurs actifs, les Compañeros, des habitants et habitantes de Courtrai qui suivent régulièrement les activités de Buda, fidèles accompagnateurs de la structure. Chaque semaine, une newsletter personnalisée leur est envoyée pour leur proposer d’assister aux sorties de résidence ou en cours de résidence, à la demande des artistes. Buda est un lieu qui essaie de s’adapter à tous les besoins des artistes, les règles ne sont pas figées.
Vous utilisez le protocole DasArts, créé à Amsterdam. En quoi répond-il à vos besoins ?
Il s’agit d’une méthode pertinente, créée dans une école de danse et de théâtre, qui se concentre sur la réception. L’attention ne se porte pas sur l’artiste, mais sur sa proposition. Les retours critiques constituent des moments de fragilité ; ce protocole de feed-back permet une critique productive, une mise en perspective qui lui sert à mesurer l’écart entre son intention et la réception de sa proposition par les spectateurs et spectatrices-tests.
La méthode peut s’adapter en fonction du temps disponible, avec un maximum d’une heure à une heure trente minutes. Elle commence par « ce qui marche pour moi, c’est… » ; cela permet d’installer d’emblée un cadre bienveillant en signalant ce qui a fonctionné pour les spectateurs et les spectatrices. Ensuite, la critique située (« As, I », « En tant que, j’aurais besoin de ») permet d’énoncer un manque par rapport à une situation particulière. Nous mettons également en place « le moment des concepts » : chacun écrit un mot sur un Post-it, qui correspond à ce qu’il a perçu. Il s’agit de cartographier l’œuvre via la réception que l’on en a.
Quel est le profil de ces spectateurs et spectatrices-tests ? Sont-ils formés à cet outil ?
Ces spectateurs et spectatrices ont un regard très aiguisé, quand bien même ils et elles ne sont pas des professionnelles. Ils et elles forment une sorte de communauté que nous souhaiterions agrandir afin de renouveler les points de vue. « Soup and stories » est un nouveau cadre pour créer de nouvelles opportunités de rencontres entre public et artistes : un déjeuner tous les premiers jeudis du mois, ouvert à tous durant lequel l’artiste raconte ce sur quoi il/elle travaille, une discussion plus informelle ouverte également à nos partenaires.
Quels sont la place et le rôle du spectateur, de la spectatrice ?
Pendant quatre ans, nous avons fait partie d’un réseau européen, Be SpectACTive !, axé sur le lien et le rôle des spectateurs. Un groupe de B-scene(rs) avait entre autres pour rôle de programmer un ou deux spectacles publics par an. Le groupe a perduré malgré l’arrêt du programme européen, et programmera un spectacle en 2025. Nous réfléchissons avec les membres du groupe aux méthodes de programmation, sur les contraintes au sein d’un écosystème (matérielles, budgétaires, etc.), les désirs, les responsabilités… Trouver les bonnes conditions pour eux fait partie de mon métier.
Comment ce dispositif est-il vécu par les artistes ?
En général, les artistes adorent et sont très en demande. C’est un plus à Buda. Ces échanges très riches constituent pour elles et eux un espace de liberté, loin de la pression des professionnels. L’équipe de Buda veille au cadre des échanges qui peuvent être parfois très animés.
Vous-même avez été formée à la méthode ?
Non, mais elle est suffisamment précise pour qu’on puisse facilement s’en emparer. Elle fonctionne de façon quasiment instinctive. Elle cadre bien la répartition de la parole, mais n’empêche pas, ensuite, la poursuite des discussions informelles. L’équipe demeure garante de cet espace bienveillant.