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    NDD#87 Entrez dans la danse, Re:Rosas ! Encore et encore

    Rosas danst Rosas © Viviana Mercurio rosasdanstrosas.be/10765-2/

    Par Élodie Verlinden

    Il y a quatre décennies, Anne Teresa De Keersmaeker présentait pour la première fois une pièce originale pour quatre danseuses, composée sur quatre mouvements et qui a connu quatre vies (au moins).

    C’est en effet le 6 mai 1983, un an après le succès international de Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich, que la jeune chorégraphe présente à La Balsamine Rosas danst Rosas, une pièce où on la retrouve sur scène, accompagnée cette fois de Fumiyo Ikeda, de Michèle Anne De Mey et d’Adriana Borriello. Première de la Compagnie Rosas, cette œuvre est aujourd’hui considérée comme emblématique à plus d’un titre. D’Avignon à New York, la pièce tourne, le succès se confirme, la chorégraphe est consacrée, première vie de la pièce.

    En 1997, Thierry De Mey, frère de Michèle Anne et co-compositeur de la musique originale de la pièce, choisit de réaliser un film de la chorégraphie. Il ne s’agit pas d’une « simple » captation de la représentation sur scène, mais d’une œuvre à part entière dont la chorégraphie est le noyau central. Le montage présente les danseuses en kaléidoscopes sous différents angles et dans différents espaces d’une ancienne école technique de Louvain, décor du tournage. Deuxième vie.

    La pièce est reprise régulièrement et tourne, mais c’est à la suite d’un forfait de Beyoncé qu’une troisième vie lui sera accordée, rencontrant alors un public bien plus large que celui malheureusement encore restreint des amateurs et amatrices de danse contemporaine. Dans le vidéoclip de Countdown (2011), la chanteuse américaine copie de nombreuses séquences d’Achterland (1990) mais surtout de Rosas danst Rosas, la chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker (ATDK), sans oublier le film de Thierry De Mey ¹. Beyoncé a reconnu l’incontestable dans un communiqué ² minimisant les faits, en précisant que de nombreuses autres inspirations étayent le clip, qui, surtout, faisait de la publicité à ATDK étant donné qu’il cumulait alors deux millions de vues (aujourd’hui 223 millions !). Il faut bien admettre que cette « affaire » a permis de faire connaître le nom d’Anne Teresa De Keersmaeker à des milliers (millions) de personnes qui n’en avaient jamais entendu parler et de faire connaître ses créations à un « non public ».

    Et finalement, quatrième vie : si tout le monde pouvait s’approprier l’œuvre culte… ? C’est ce qu’ATDK propose en 2013, 30 ans après sa création. Et au-delà d’une proposition, c’est une invitation : « Participe ! -> Envoie ta propre vidéo » ³ peut-on lire sur la page d’accueil du site entièrement consacré à ce projet « Re:Rosas! The fABULEUS Rosas Remix Project ». Et pour ce faire, on nous donne les éléments clés : le contexte, l’historique, la bande-son, l’explication de la structure et des mouvements mais aussi et surtout des vidéos didactiques. « Dans les vidéos que vous trouverez ci-dessous, la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker et la danseuse Samantha van Wissen vous enseignent pas à pas les mouvements de la deuxième partie du spectacle. Ensuite, c’est à votre tour : Vous dansez Rosas. » Ces vidéos sont au nombre de quatre. Dans la première (1’22’’), ATDK nous explique le projet autour du 2e mouvement de la pièce (scène des chaises), le contenu des vidéos suivantes et surtout nous invite, non pas uniquement à « copier » Rosas danst Rosas, mais à « créer notre propre version, en modifiant la musique, la structure, les mouvements, le nombre de danseurs/danseuses : « The only thing you need is a chair […] Have fun […] I’m very curious to see the result. » La deuxième vidéo (11’06’’) est découpée en 7 séquences : une introduction par Samantha van Wissen et les 6 mouvements (A, B, C, D, E, F) de la « scène des chaises ». Dans la troisième vidéo (13’02’’), le duo nous explique la structure de cette version adaptée de la chorégraphie originale en 6 parties : « Nodding », « Positions in a fan », « Chipotage », « Phrase in unisono », « Big fan » et « Phrase in reverse order ». Enfin, la dernière vidéo reprend l’intégralité de l’adaptation de 3’37’’ (la version originale dure 15 minutes), découpée en regard des 6 mouvements, en temps réel, en musique et interprétée par Tale Dolven, Elizaveta Penkova, Samantha van Wissen et Sandra Ortega.

    Au moment où nous écrivons ces mots, la vidéo Movements a été vue par plus de 176 000 personnes et 675 vidéos (la dernière datant du 25/08/2023) ont été téléversées sur le site officiel du projet toujours en cours. Si comme ATDK, vous êtes curieux ou curieuse de découvrir les différentes versions nées de cet essaimage, vous pouvez passer des heures à les consulter  ⁴. La diversité des propositions et la récurrence du même (« mème » aussi…) hypnotisent et font inévitablement référence à la structure de l’œuvre, un peu comme si ces vidéos mettaient une nouvelle fois en abîme cette pièce qui se distingue justement per se par cette répétition et cette mise en abîme en son sein mais également dans celle de Thierry De Mey. La boucle est la fois bouclée et ouverte sur une spirale infinie de variantes passées et encore à venir. •

    Élodie Verlinden est première logisticienne de recherche et maîtresse d’enseignement à l’Université libre de Bruxelles. Elle enseigne à l’ULB (Master en arts du spectacle vivant) et à l’INSAS/La Cambre (Master en danse et pratiques chorégraphiques). Privilégiant une approche sémio-pragmatique, elle questionne les rapports entre la danse et la réception, et étudie l’influence des nouveaux processus de création sur les modélisations classiques.
    1 Voir vidéo de comparaison des vidéos de Beyonce et ATDK sur la chaine YouTube Elodie Verlinden qui atteint plus de 67.000 vues : youtu.be/lXE6rM0d3jg?si=_HLMGpovT_3zfg6I
    2 rtbf.be/article/beyonce-admet-s-etre-inspiree-d-anne-teresa-de-keersmaeker-6900143
    3 rosasdanstrosas.be/accueil/
    4 Sur rosasdanstrosas.be/fr-videos/
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