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    NDD#76 – La gravité de Steve Paxton

    Steve Paxton Phantom Exhibition © Jordi Bover

    Par Florence Corin & Baptiste Andrien

    Le danseur improvisateur états-unien était à Bruxelles en mars dernier pour nous parler de ce que nous partageons en commun : la gravité. Témoignages de celles et ceux qui ont participé aux ateliers organisés à cette occasion.

    En mars dernier, Contredanse organisait en présence du danseur-improvisateur Steve Paxton une semaine de conférence, exposition, rencontres publiques et ateliers, en partenariat avec plusieurs acteurs culturels bruxellois (BOZAR, Charleroi danse, TicTac Art Centre et Brussels dance!). Retour sur cet artiste qui a marqué l’histoire de la danse contemporaine et sur l’évènement Swimming in Gravity célébrant les quinze années de collaboration entre Steve Paxton et les éditions Contredanse.

    Né aux États-Unis, Steve Paxton a commencé sa carrière comme danseur pour les compagnies de José Limón et de Merce Cunningham avant de participer au Judson Dance Theater, dans les années 1960, à New York, aux côtés notamment d’Yvonne Rainer, de Trisha Brown, de Robert Rauschenberg et de Lucinda Childs. De ses expériences il garde un intérêt pour la création de formes nouvelles, questionnant ce qui lie la danse à la culture, tout en observant et sondant le corps dans ses mouvements les plus quotidiens et ses relations élémentaires à la force physique naturelle qui nous affecte tous, la gravité. Initiateur du Contact Improvisation, il développe également la technique Material for the Spine, explorant le bassin et la colonne vertébrale ainsi que les muscles profonds du dos, attirant « la conscience sur la partie obscure du corps, sur sa face cachée ou son intérieur ». Ses pièces, présentées dans le monde entier, et son enseignement continuent d’influencer des générations de danseurs et chorégraphes.

    En 2008, paraît Material for the Spine – une étude du mouvement, une collaboration entre Steve Paxton, Florence Corin et Baptiste Andrien (éditions Contredanse). Cette publication numérique, désormais accessible en ligne (www.materialforthespine.com), présente la-dite technique et la pensée qui la sous-tend à travers des extraits de conférences, d’ateliers, de spectacles et de créations audiovisuelles originales. Dix ans plus tard, sort le livre Gravity, ainsi que sa traduction française par Denise Luccioni, La Gravité. Steve Paxton y retrace une vie en compagnie de la pesanteur, où les souvenirs de ses premiers pas côtoient des méditations métaphysiques et sa vision sur le monde actuel.

    Fêter le fruit de cette collaboration, offrir des temps de pratique et de rencontre avec le travail de Steve Paxton, rendre compte de la façon dont une danse, un enseignement, une pensée passent d’un corps à un autre, à travers le temps, l’histoire et d’autres médias, telles étaient les principales intentions portées par
    l’évènement Swimming in Gravity. La voix naît de ce pli : corps regardant corps, activité se retournant sur elle-même. Je suis cette pliure : la distance du je au tu, ni l’un ni l’autre, un différentiel qui m’autorise : je me dialogise. De là, deux choses m’apparaissent : un mode opératoire et une thématique.

    Lors de la conférence aux Palais des Beaux-Arts (BOZAR), Steve Paxton témoignait du désir qui l’a animé durant toutes ces années d’examiner et d’explorer « ce corps que nous avons sur terre, non pas tel que la science ou la médecine peut le définir, non plus celui que nous pensons avoir, mais ce corps pour lequel l’expérience d’être là nous enseigne de façon la plus directe qui nous sommes ». Dans la salle d’à côté, en collaboration avec Contredanse, l’exposition Phantom Exhibition proposait une mise en espace d’extraits vidéo issus de la publication Material for the Spine, offrant une expérience d’immersion et de désorientation de
    notre rapport à la gravité.

    De l’autre côté de la ville, durant cinq jours, plus de 60 danseurs, venus des quatre coins du monde, investissaient les espaces du TicTac Art Centre et de Charleroi danse / La Raffinerie pour suivre les ateliers de Scott Smith, de Patricia Kuypers, de Charlie Morrissey, d’Otto Ramstad et de Ray Chung. Ces cinq artistes-danseurs-pédagogues y partageaient leur perspective du travail de Steve Paxton, qu’ils ont longuement côtoyé, et la résonance que celui-ci a eu sur leur propre pratique artistique et pédagogique.

    Ces ateliers ont donc soulevé la délicate question « Comment se transmet la danse improvisée ? ». Et Steve Paxton de répondre : « En tant qu’improvisateur, j’ai accepté l’idée de ne pas laisser d’héritage. Si la culture, par nécessité, regarde vers son passé, l’improvisation est une des manières avec lesquelles le cerveau opère pour regarder devant, envisager les possibilités, chercher les sensations, sentir le monde. Comment se fait-il que nous ayons une pensée qui suive une autre ? Pourquoi rêvons-nous ? Pourquoi désirons-nous ? Comment faisons-nous tout cela ? Nous le faisons en tant qu’être humain. Par essence, l’improvisation
    est anticapitaliste et ne transmet rien que vous n’ayez déjà. »

    Ces propos sont manifestes de l’éthique incarnée par Steve Paxton, à savoir le respect inconditionnel de l’expérience intérieure et personnelle. Avec lui le temps se ralentit et, de sa voix calme et pénétrante, il nous donne à considérer la danse comme espace d’expérience de vie. Et inversement. •

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