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    NDD#74 Dançer, la collection qui bouge

    Propos recueillis par Alexia Psarolis

    Dançer avec un ç ? Une orthographe aussi singulière que cette collection de livres qui vient de voir le jour, portée par l’association lyonnaise Quadrille… Le début d’une belle aventure éditoriale visant à publier des ouvrages illustrés destinés aux enfants – mais pas seulement – proposant « différentes manières d’entrer dans la danse ». Après deux premiers titres récemment parus, d’autres ne vont pas tarder à éclore. Échange (écrit) avec les initiatrices du projet, les danseuses Mary Chebbah et Bérengère Valour, entourées de Jeanne Vallauri et de Sandra Pasini.
    Naissance d’une collection

    « Cette collection se construit à partir de frottements et de croisements de chemins tracés, récemment ou plus anciennement, par nos parcours mais aussi nos collaborations réalisées à Lieues, à Lyon depuis 2010. Pour ma part, cette collection fait appel tout autant à ma pratique conjointe de la danse et du dessin durant mon enfance, réactualisée dans mes recherches artistiques, qu’au travail d’écriture mené avec Maguy Marin, mais aussi à l’expérience éditoriale de la revue Rodéo (revue collective de littérature, dessin, photographie et autres formes, ndlr), comme mon goût pour l’histoire, ou le désir de créer des livres pour enfants associé au plaisir d’en découvrir de nouveaux. Du côté de Bérengère Valour, c’est la richesse de ses expériences artistiques dansées menées auprès d’enfants et de jeunes, en France ou en Égypte, comme la réalisation de créations dont certaines pour jeune public avec Jeanne Vallauri. Mais cette collection s’invente et prend racine surtout à partir de la féconde expérience que nous menons communément à Lieues depuis huit ans avec les enfants, où nous proposons des stages-ateliers artistiques les amenant à goûter davantage à leur corporalité, leur vivacité d’esprit, leur plaisir de jouer, leur musique intérieure ou leur malice. »

    La démarche

    « Ayant observé le manque de livres créatifs sur la danse pour enfants, l’envie d’en créer s’est comme imposée, intercalée dans toutes ces strates. Ainsi, nous avons d’abord recensé le vocabulaire élémentaire de la danse, dont une part s’enseigne. Nous avons recueilli un nombre conséquent de mots donnant lieu à des sortes de familles ouvrant différentes portes d’entrée. Alors, plus de 15 livres potentiels se sont dégagés, avec l’envie de trouver comment, graphiquement et intellectuellement, leur questionnement et leur matière pouvaient être traités, de notre point de vue.
    Imprégnées par certaines lectures (livres graphiques jeunesse, BD) mais surtout portées par nos explorations avec les enfants, et notre plaisir à nous aventurer sur le terrain de la logique de l’imagination créative, des pistes se sont élaborées, comme : traiter la notion d’espace par l’entrée d’un corps dans une page, jouer avec la scansion de la case BD pour le temps, explorer la gravité des personnages de conte pour le poids, « imager » le squelette, inventer un cabinet de curiosité dédié à des objets de l’histoire de la danse, créer des panneaux de danse, explorer différents points de vue de lieux où ça danse, articuler le costume de danse et la question de genre… Autant de pistes qui nous permettent d’enclencher chaque livre, tout en restant ouvertes. »

    Sentir la danse par le texte et l’image

    « Il me semble que chaque enfant peut sentir et penser à partir d’une multitude de formes d’expression, qu’elles soient poétiques, conceptuelles, fictionnelles, réalistes ou didactiques. Toutefois, notre terrain étant la danse, il nous semblait plus adéquat de tendre vers le poétique, le graphique, l’entre-deux du corps et de la pensée, l’imagination, le décalage. Alors, le gage que nous nous sommes fixé c’est d’essayer de passer par ces modes pour tenter de faire sentir aux lecteurs que notre corps bouge même quand on ne le voit pas bouger, que les images virevoltant en nous nourrissent nos possibilités d’agir, et que nos pensées joueuses et lumineuses font mouvement. »

    Dançer avec un ç

    Ce ç résonne avec l’idée d’intégrer au sein même du mot danse celle du pas de côté ; un pas de côté dans la langue, un clin d’œil à la malice des fautes d’orthographe pointant le mouvement possible des langues. C’est aussi un signe graphique dessinant une sorte de jambe, ou la possibilité de s’interroger tout simplement si dançer serait différent de danser.

    Choix du livre papier

    « L’envie de créer ces livres nous est venue sans même penser aux formes numériques qu’ils pouvaient ou pourraient ouvrir. Probablement parce que le livre, avec sa matière papier, sa prise en main physique, le mouvement et le son de ses pages, la possibilité d’y intercaler des éléments, de dessiner par-dessus, voire de le découper, de le savoir disponible en permanence sans avoir à allumer un écran, ou encore de le voir vieillir avec nous, reste un objet pleinement vivant dans la durée. »

    Soutiens et diffusion

    « Les deux premiers ouvrages ont été édités par Quadrille uniquement grâce à une avance sur recettes privée. Cet élan a été accompagné par le soutien de Format en Ardèche pour l’accueil d’une exposition de dessins, suivie d’une rencontre et d’un atelier, en partenariat avec la Médiathèque d’Aubenas. Actions qui pourraient être menées dans d’autres lieux (CDC, médiathèques). Pour les prochaines sorties, nous travaillons sur la recherche de financements croisant aides publiques et privées. Quant à la diffusion, elle est réalisée pour l’instant à notre échelle et se décline via notre propre réseau (Lieues ou autres), mais aussi à partir des secteurs professionnels du livre, du spectacle vivant, de la danse et de la pédagogie. Ce qui nous a surprises, c’est le rapide et favorable écho que ces livres ont rencontré dans ces différents contextes. »

    Une équipe 100 % féminine

    « C’est probablement parce qu’une grande partie de l’équipe émane de celle de Lieues. Sans intention ni hasard, il semblerait que ce soit une sorte de convergence implicite. Toutefois, l’équipe de la collection dançer bouge au fur et à mesure des évidences, et a toujours projeté la collaboration avec des danseurs.euses ayant surtout le goût et la pratique d’autres formes d’expression, telles que l’écriture ou l’image. »

    Danser. Illustrer. Écrire.

    « À mon sens et au regard de ma pratique, danser aiguise notre instabilité permanente, dessiner tend à mettre au jour l’association des formes qui nous tracent et traversent, et écrire décuple notre champ de pensée polyphonique ; ces modes se rejoignent et se renforcent dans leur puissance à faire mouvement en nous. À faire signe que nous sommes des êtres variants et en même temps capables de sentir notre durée, comme d’entendre notre propre musicalité et en même temps celles des autres. Très simplement, il me semble aussi que lorsqu’on dessine on danse tout petit, alors que lorsqu’on danse on peut dessiner grand, et que lorsqu’on écrit les mots travaillent l’épaisseur de leur mouvement. » •

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