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    NDD#71 « Combat de pauvre » Saison 2

    Par Isabelle Meurrens

    Il y a un an déjà, nous relevions la problématique du nouveau décret des arts de la scène. Sans un refinancement conséquent du budget alloué au secteur, cette volonté de faire « bouger les lignes » se solderait par un combat de pauvres. Nous y sommes !

    Le jeudi 23 novembre 2017, dans l’après-midi, les acteurs des arts de la scène apprenaient via les sites web des principaux quotidiens belges – avant même que les 295 demandeurs d’un Contrat-Programme (C.-P.) ne soient mis au courant – quels seraient les moyens du secteur pour les cinq ans à venir.

    Stupéfaction pour certains, ne se voyant pas dans les listes, ils comprirent qu’ils avaient été rayés du paysage. Joie pour d’autres, à qui on donnait enfin des moyens structurels après de nombreuses années de galère. Sentiment mitigé pour la très grande majorité qui, rassurée de ne pas avoir été réduite à néant, s’inquiétait néanmoins pour les cinq années à venir. En réalité, il y a eu peu de surprise et l’annonce de l’augmentation de l’enveloppe globale de 10 000 000 € fanfaronnée comme une victoire ne couvre même pas l’inflation. Comme le faisait remarquer le député Écolo Christos Doulkeridis en Commission Culture, il aurait fallu 17 000 000 € pour simplement rattraper le niveau d’il y a 10 ans.

    C’était écrit

    Le problème réside principalement dans le décret lui-même. C’est une spécialité bien belge de faire des décrets qu’on ne finance pas. Il en va du décret des arts de la scène comme du pacte d’excellence par exemple. Interrogée dans cette même rubrique, il y a tout juste un an, à propos du coût inhérent au décret, la ministre, si elle ne fermait pas la porte à une possible augmentation affirmait : « Il n’y a pas de lien direct entre refinancement et décret. Il y a une réflexion à travers le décret et les arrêtés pour qu’à enveloppe constante les choses soient les plus efficaces possibles.  »

    De notre côté notre analyse nous amenait à la conclusion inverse : sans un refinancement, nous allions dans le mur. Bien sûr, le décret n’impose pas des budgets spécifiques en tant que tels ; il n’y est pas inscrit que chaque opérateur doit engager un chargé de médiation, investir dans des outils numériques ou rémunérer ses collaborateurs sous tel ou tel barème. Il n’est pas dit non plus combien de compagnies ou de projets doivent être soutenus ni pour quel montant. Pour autant, pouvait-on répondre aux objectifs du décret dans le secteur de la danse sans un véritable refinancement ? Non.

    Faire démarrer tous les C.-P. à la même date, c’est générer un appel de fonds d’un coup, qu’il fallait anticiper. Dans le cas de la danse, cette question structurelle se doublait d’un problème conjoncturel de taille. Sur les starting-blocks, il y a : les sortants de Charleroi danse  ; les chorégraphes à qui l’on promet un C.-P. depuis plus de 10 ans ; ceux qui ont vu leur subvention rognée et qui souhaitait, au minimum, récupérer ce qu’ils ont perdu et que soit prise en compte l’inflation ; ceux qu’on appelle « les jeunes » depuis tellement d’années qu’ils ont la quarantaine bien sonnée mais fonctionnent toujours avec des mini-conventions ou des aides à la diffusion…
    Autre coût qui n’a pas été anticipé et qui va asphyxier l’enveloppe des aides au projet d’ici moins de deux ans : les aides pluriannuelles (A.P.), Elles vont croître et se cumuler sur trois ans, grevant chaque année davantage l’enveloppe des aides aux projets.

    Quelques choix politiques, quelques points positifs

    En analysant les répartitions au sein des différents domaines des arts de la scène, il est très difficile d’en saisir la cohérence et la vision politique. C’est l’augmentation globale du secteur jeune public (environ 20 % selon nos calculs) qui semble être le réel choix de politique culturelle fait par la ministre. Les structures comme Ékla en Wallonie et Pierre de Lune et La Montagne magique à Bruxelles voient leur travail largement récompensé. C’est une bonne chose.

    Pour le reste, on peut voir, à l’analyse des répartitions à l’intérieur des domaines (Danse, Théâtre, Interdisciplinaire, Cirque…) que la ligne politique a été dessinée par les différentes instances d’avis. Bien qu’il y ait des exceptions interpellantes, sur lesquelles nous reviendrons sûrement quand nous aurons davantage d’éléments, Alda Greoli a majoritairement tenu compte des avis.

    Si l’on compare les choix qui ont été faits pour le théâtre et pour la danse, les différences sont assez marquées. Dans le secteur du théâtre, ce sont les très grosses institutions (Théâtre national, Théâtre de Liège, Théâtre de Namur, Le Public) qui sortent grands vainqueurs. À l’inverse, dans le secteur de la danse, ce sont les compagnies qui étaient sur l’aide aux projets qui bénéficient majoritairement de l’augmentation de l’enveloppe. En effet, la majorité des compagnies historiques se voient maintenues au même niveau, et la plupart des « jeunes » compagnies nouvellement contrat-programmées reçoivent un C.-P. supérieur à 125 000 €, ce qui signifie qu’elles ne dépendront plus de l’enveloppe des aides aux projets. Là encore, c’est une grande différence avec les choix qui ont été faits par le Conseil de l’Art dramatique, puisque côté théâtre la majorité des compagnies reçoivent un C.-P. minimal et continueront de dépendre de l’enveloppe des aides aux projets. Il y a là des choix différents dans des contextes différents.

    Dans le secteur de la danse, il n’y a qu’un seul lieu de création, Les Brigittines, dont la dotation est très faible, et un seul centre scénique. Cela crée une dépendance très forte de l’ensemble de la communauté des chorégraphes envers essentiellement une institution, Charleroi danse. Il fallait rétablir un équilibre des forces, d’autant qu’on ne connaît que trop bien la frilosité des programmateurs à s’engager sur plus que deux dates et encore plus à donner des montants de coproduction suffisants. Pour que la danse puisse survivre dans un contexte où les théâtres se désinvestissent, il était nécessaire de donner des moyens de production aux compagnies.

    Des chiffres trompeurs

    Selon la présentation des chiffres officiels de la ministre, la somme des subventions des différents opérateurs passe de 5 390 379 € à 6 768 000 € 3, soit une augmentation de 26 % !
    Nous arrivons dans nos calculs, en partant des montants reçus par l’ensemble des opérateurs, à une augmentation globale à euro constant de seulement 11 %. Et si l’on prend en compte l’inflation sur les cinq dernières années, on arrive à une diminution de 5 %.

    Cette présentation fallacieuse des chiffres publiés par la ministre est dans l’air du temps ; les tweets de Donald Trump ont ouvert la voie aux « vérités alternatives ». Analysons cette discordance entre les 32 % communiqués par la ministre et les 9 % calculés par nos soins. Elle s’explique de plusieurs façons.

    Depuis trois ans les Conventions et les C.-P. ont tous été amputés de 1 %. Nous avons tenu compte des chiffres tels qu’ils figurent dans les contrats. Par ailleurs, certains opérateurs étaient financés par une autre enveloppe en dehors des arts de la scène (Le Grand Studio par exemple) ; il ne s’agit pas d’une augmentation globale mais en grande partie d’un transfert de fonds. La ministre n’ayant pas communiqué sur les compagnies qui perdent leurs subventions, cela tronque les totaux et les pourcentages, puisque seuls sont pris en compte les montants entrants et pas les montants sortants. Dans les chiffres officiels, seuls sont repris les montants du C.-P. ou de la Convention, et pas celui des aides à la diffusion ni les montants des aides aux projets dont bénéficiaient les compagnies conventionnées et dont elles ne pourront plus bénéficier.

    Un cas à la loupe

    Ainsi, par exemple, dans le tableau communiqué par la presse le 23 novembre, on apprend que la compagnie de Karine Ponties, Dame de Pic, passe de 141 000 € à 200 000 €, soit 41 % d’augmentation, alors qu’en réalité elle avait 143 428 € (si on tient compte des 1 % mentionné plus haut) et bénéficiait également d’une moyenne de 36 375 € d’aides aux projets par an sur les dernières années, soit un montant de 179 803 €. De plus, si sa convention avait été indexée, elle aurait reçu 195 000 €. Les 200 000 € du C.-P. ne correspondent donc pas à une augmentation de 41 % mais de 11 % à euro constant et de seulement 2 % si on tient compte de la l’inflation C’est bien peu pour une compagnie qui œuvre en Fédération depuis plus de 20 ans et rayonne bien au-delà de nos frontières.

    De nombreux bénéficiaires

    C’est à la fois la bonne nouvelle et la mauvaise nouvelle. Il était absolument indispensable d’élargir les C.-P. au-delà des quelques compagnies historiques très bien dotées. Cette diversité des compagnies est absolument nécessaire pour accueillir une diversité de public et pour stimuler une émulation au sein du secteur. Il y avait hier 12 bénéficiaires (dont 9 compagnies) d’une convention ou d’un C.-P. ; il y en a aujourd’hui 18 (dont 13 compagnies). Cela fait une augmentation de 50 % des bénéficiaires. La mauvaise nouvelle c’est que, l’augmentation de l’enveloppe ne couvrant déjà pas l’indexation des opérateurs actuels, le rééquilibrage nécessaire est devenu nivellement par le bas : la subvention moyenne dont bénéficiaient les compagnies conventionnées et contrat-programmées passe de 242 449 € à 214 846 €.

    Finalement, n’était-ce pas cela l’unique stratégie politique, donner de l’air à certains, en asphyxier d’autres et ce faisant, étouffer toute tentative d’insurrection ? •

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