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    NDD#69 « Mettre le mental au service du corps »

    Cie félicette Chazerand Corps confiants © Laurence Bodart

    Entretien avec Félicette Chazerand et Milton Paulo Nascimento de Oliveira | Propos recueillis par Alexia Psarolis

    En 1996, Félicette Chazerand crée Corps confiants dans le contexte des jeunesses musicales. Vingt ans se sont écoulés, les attentats ont frappé, beaucoup de questions sur le contact et les tabous ont émergé. L’idée de reprendre cette performance fait son chemin… jusqu’à La Marlagne, où elle a été proposée en février dernier, dans le cadre des classes d’immersion organisées par le CDWJ. Cette expérience performative invite l’enfant à se questionner, à créer des liens, à vaincre ses peurs… Échange avec la chorégraphe et le danseur Milton Paulo Nascimento de Oliveira.
    Votre performance s’intitule Corps confiants. Quelle est cette confiance que vous évoquez ?

    Félicette Chazerand : Corps confiants est basé sur la technique du Contact Improvisation. Dans les années 70, des danseurs tels que Steve Paxton, Nancy Stark Smith et Trisha Brown ont développé une démarche qui visait à contrer le côté spectaculaire de la danse, tout en se basant sur un travail collectif. Et à découvrir la nature du mouvement plutôt qu’à reproduire une gestuelle décidée à l’avance. Les personnes venaient de tout horizon, de l’aïkido, de la gymnastique, de la danse… ; elles ont mis en évidence des fondamentaux comme les notions de spirale, de gravité, de transfert du poids… La connexion avec cette forme de danse qui habite le danseur consciemment ou non et le partage avec les autres amènent la confiance, d’où le titre de la performance, Corps confiants. Le son, la musique, accompagnent également le mouvement. Grâce à cette confiance, il s’agit de pratiquer sans construction spectaculaire. La technique du Contact Improvisation est également une démarche philosophique, née en réaction au mode de fonctionnement autoritaire de la danse à l’époque.

    Comment votre dispositif imbrique-t-il performance et pédagogie ?

    Félicette : Notre démarche permet à l’enfant d’accéder à la connaissance de son corps, de lui donner la possibilité de comprendre comment il fonctionne ; le plus tôt possible est le mieux. Chez les enfants, ce travail se fait de façon ludique et instinctive. Corps confiants renverse les codes classiques de la représentation et du regard. Le projet traverse le corps du danseur, qui livre ensuite ses explications sur ce qu’est une prise de risque, un contrepoids, l’écoute entre les partenaires… À la fin, nous ouvrons le plateau et les enfants sont invités à expérimenter quelques principes avec nous. Ils le font avec beaucoup de plaisir, comme s’ils avaient été échauffés par le regard et par la confiance qui s’est instaurée. Ici, ils ont la permission d’essayer, contrairement à l’école.

    Milton Paulo Nascimento de Oliveira : Il s’agit d’une pratique de danse participative, comme si l’on ouvrait les coulisses de la pratique du mouvement. Danseurs et enfants se trouvent dans un dispositif circulaire, où tout le monde est invité à participer. Corps confiants rend accessible le contact avec la matière en train de se créer ; la danse commence à naître, se crée et se recrée à chaque instant.

    Les notions abordées durant l’animation telles que la confiance, le toucher, l’écoute, permettent-elles aux enfants de faire le lien avec leur quotidien ?

    Milton : Je danse avec Maria Eugenia Lopez. Un homme et une femme sur un plateau, c’est déjà le début d’une histoire. Les jeunes abordent la notion de confiance et d’intimité de la vie réelle sur le plateau, même s’il s’agit d’une fiction. Un enfant a demandé si nous étions en couple, ce à quoi le musicien Marc Gallo a répondu que Maria et moi nous connaissions très bien en tant que partenaires de danse. Cette réponse visait à amener une réflexion sur la notion d’intimité dans la vie quotidienne ; parfois même dans une relation de couple l’on ne voit pas cette qualité d’écoute. Pourquoi ne pourrait-on pas avoir également ce rapprochement des corps et cette confiance-là dans la vie réelle ? J’ai l’impression que tout cela reste gravé en eux et fait son chemin, tant chez les enfants que du côté des enseignants.

    Quel écho ont eu vos ateliers en eux ?

    Milton : Les professeurs ont réalisé des bilans dessinés, ont essayé de donner une valeur à la rencontre avec cette danse. Le corps est transversal. Nous avons besoin du corps pour parler, pour écrire, pour dessiner, pour bouger dans l’espace… Corps confiants a amené une autre façon d’être en relation. Les élèves des classes de 4e, 5e, 6e primaires avaient des corps assez figés. Nous avons pu observer le changement au cours de la semaine passée à La Marlagne. Travailler avec le corps, c’est très profond, on travaille aussi sur sa propre histoire et sa dimension culturelle, religieuse, politique…

    Félicette : J’ai souvent constaté que les enfants les plus rejetés en classe sont les premiers à participer, développant ainsi une corporalité spontanée et stimulante pour l’ensemble du groupe. En tant que danseuse, chorégraphe et pédagogue, valoriser l’intelligence perceptive et intuitive, amener le mental dans une physicalité, le mettre au service du corps, me semble fondamental dans le développement de tout être humain, petit ou grand. Le sport à l’école ne prend pas en compte la notion de présence, contrairement à la danse. L’enfant doit se rencontrer, être en présence de lui-même sur les plans physique, physiologique, organique et mental.

    Quel regard portez-vous sur la danse jeune public aujourd’hui ?

    Félicette : Le rapport au corps n’est pas acquis : j’observe après 20 ans d’expérience dans le jeune public que le secteur éducatif ne prend pas en compte le corps, une paresse s’installe au profit du mental. Il y a des prises de conscience ; cependant il est difficile de lutter contre les habitudes de fonctionnement structurel qui formatent malheureusement la pensée et le corps. Les programmateurs sont encore frileux à proposer des productions dansées diverses à leur public. Je me suis entendu dire il y a un an : « Nous ne programmons qu’une production danse pour le jeune public par an », contre combien en théâtre ? Le secteur Jeune public (compagnies, créateurs) est pourtant très actif pour maintenir sa différence par rapport au théâtre adulte et valoriser sa diversité de créations.

    Milton : Je commence tout juste à entrer dans le secteur jeune public. J’observe une richesse des propositions et une grande ouverture mais dès que l’on entre dans le cadre institutionnel, on découvre une autre logique. Pour bénéficier d’aides à la diffusion, on demande aux créateurs de se fondre dans un format que l’on pense idéal. On prend la place de l’enfant pour décider ce qui est bien pour lui.

    Félicette : Cette contradiction est visible aux Rencontres de Huy, qui pourraient être une plateforme pour les créations et les artistes. Actuellement, c’est devenu le marché de l’été, entouré d’un jury décideur de ce qui est souhaitable ou non à proposer dans le cadre « des tournées des spectacles à l’école ». La notion du jugement ne me semble pas très opportune car les principaux concernés, les enfants, sont absents. Nous avons été encouragés à y présenter Corps confiants cette année. Pourquoi pas ? Il est peut-être intéressant de montrer d’autres formes, autrement, en précisant bien qu’ici il ne s’agit pas d’un spectacle mais d’une expérience performative.

    La reconnaissance du secteur apportée par la ministre de la Culture ne représente-t-elle pas une petite victoire ?

    Félicette : Oui ! Alda Greoli me semble être une des premières ministres à être investie dans sa mission. C’est l’impression qu’elle me donne. Il est temps de valoriser ce qui existe et de le faire grandir ! •

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