NDD#68 Quel projet pour Charleroi danses ? | Il était une fois un Centre chorégraphique…
Par Isabelle Meurrens
Ballet du Hainaut, Ballet de Wallonie, Charleroi Danses, avec slash, tiret ou espace, le centre chorégraphique de la fédération Wallonie-Bruxelles a déjà tracé un bon bout d’histoire depuis les années 50.
Tout commence en 1957, lorsque Hanna Voos, une danseuse passée à la Scala de Milan, au Sadler’s Wells à Londres et chez Kurt Jooss à Essen, réunit les corps de ballet du Théâtre royal de Mons et du Palais des Beaux-Arts de Charleroi sous le nom de Ballet du Hainaut.1
Dix ans plus tard, dans une politique culturelle de décentralisation, le ministre de la Culture Pierre Wigny décide d’implanter l’Opéra à Liège, le Théâtre à Namur et la danse à Charleroi, sous le nouveau nom de Ballet de Wallonie. Dans les années 1980 à Bruxelles, les chorégraphes de la Communauté française se multiplient. L’on assiste, comme en France, avec le mouvement de la nouvelle danse, à une véritable explosion de nouveaux talents sortis de Mudra ou venant de l’étranger.
Côté chiffres, les inégalités sont flagrantes en 1985 : alors que la subvention du Ballet de Wallonie approche les 2 000 000 d’euros, le montant de l’enveloppe des aides ponctuelles accordées à la danse est de 150 000 euros.2 En 1991, suite au décès de Jorge Lefebre, successeur d’Hanna Voos, le ministre Valmy Féaux, « conscient du vaste mouvement de la jeune danse », choisira Frédéric Flamand comme nouveau directeur du Ballet royal de Wallonie, qui dès ce moment deviendra le Centre chorégraphique de la Communauté française de Belgique, Charleroi/Danses.
À côté de ses productions propres, la nouvelle compagnie a des obligations : conserver un corps de ballet, créer un festival, coproduire, augmenter la diffusion de la danse en Wallonie, accueillir les jeunes chorégraphes et mettre en place une formation qui répondrait aux besoins des danseurs. La première saison de Charleroi/Danses illustre ce tournant. À l’affiche on trouve les grands noms de la danse post-moderne. Frédéric Flamand y créera sa trilogie futuriste (Icare/Titanic/ex-Machina). En 1996, la troisième Biennale « Vitesse et Mémoire » est un succès. Le centre chorégraphique cherche à s’autonomiser du Palais des Beaux-Arts ; c’est en 1998 qu’il s’installera dans les anciennes écuries de la gendarmerie à Charleroi.
Un premier coup de théâtre en septembre 2001 va sonner le début d’une longue crise. Charleroi/Danses annonce la suspension de la Biennale jusqu’en 2004 et l’arrêt de la mission de sensibilisation du public. En cause, le coût des travaux des Écuries. Charleroi/Danses demande officiellement une diminution de ses obligations en tant que centre chorégraphique, via un avenant qui révise entre autres le soutien apporté aux compagnies.
La Réunion des Auteurs Chorégraphes (RAC), qui vit de plus en plus mal ce qu’elle perçoit comme un monopole, reproche au centre chorégraphique Charleroi/Danses de bénéficier de 60 % de la subvention totale dévolue à la danse alors qu’il n’assume plus ses missions, et juge démesuré le soutien à sa compagnie, la seule permanente en Communauté française. Une crise dont le dénouement semble improbable jusqu’à ce que la presse fasse écho de la candidature de Frédéric Flamand à la direction du Ballet national de Marseille. Durant les longs mois qui ont suivi, de nombreux scénarios sont envisagés « Faut-il maintenir une compagnie permanente de danse en Communauté française ? » se demande l’administrateur du Centre chorégraphique, Henri Goffin, dans Le Soir du 22 juillet 2004. Ce à quoi la RAC répond : « Une compagnie permanente est un non-sens dans le paysage actuel eu égard à la situation paupérisée de tous les chorégraphes. Défendre son existence revient à justifier le subventionnement d’une usine de chocolat en plein Sahel ! » 3
C’est dans ce climat d’effervescence que l’attribution d’un nouveau contrat-programme a débouché sur une configuration à quatre têtes : trois artistes (Pierre Droulers, Michèle Anne De Mey et Thierry De Mey) associés égalitairement à une direction administrative (Vincent Thirion) dans un projet global intégrant des actions sur les deux implantations, avec des missions spécifiques attribuées à chacune d’entre elles. Ce faisant, c’est pour la ministre Fadila Laanan un coup gagnant qui permet de refinancer les aides aux projets, les conventions et les contrats-programmes sans sortir un sou. Ce quatuor est resté à la tête de Charleroi/Danses durant 10 ans. Retenons de ces dix dernières années : le soutien aux chorégraphes en résidences (Thomas Hauert, Olga de Soto, Louise Vanneste…), le festival Danseur initié par Pierre Droulers, la place accordée aux danses urbaines sous l’impulsion de Vincent Thirion et, bien sûr, quelques spectacles, parmi lesquels Soleils ou encore Kiss & Cry, qui aura marqué le public… comme le bilan financier.
En janvier 2017, c’est Annie Bozzini qui reprend la tête du paquebot aux deux cabines et qui, à peine arrivée, va devoir négocier son contrat-programme dans le cadre du nouveau décret. Si nous lui souhaitons d’avoir les moyens de mener son projet sans voir le coût inhérent aux infrastructures « plomber » son budget, ne perdons pas de vue le long mouvement de démonopolisation de l’ex-Ballet de Wallonie qui est en marche depuis 30 ans, indispensable à la santé et la diversité du secteur. Rappelons-nous : il y a 30 ans, le Ballet de Wallonie représentait 93 % du budget de la danse ; aujourd’hui, le Centre chorégraphique en a 60 %. En progrès, mais peut mieux faire, dirons-nous ! Dès lors, l’équilibre ne devra-t-il pas passer par un refinancement du secteur dans son ensemble ?