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    Extrait – « Des trous noirs » – Un entretien avec Hubert Godard

    Propos recueillis par Patricia Kuypers

     

    Patricia Kuypers : Qu’est-ce que tu appelles le trou noir? 

    Hubert Godard : Ces trous noirs sont des zones de l’espace qu’une personne a du mal à percevoir ou qui sont perçues d’une manière uniquement focalisée ou menaçante; par exemple, dans un accident de voiture il arrive que même après les traitements physiques nécessaires, une peur subsiste, souvent non consciente, dans la direction où le choc s’est produit, et cette peur limite le travail de perception dans cette direction. Beaucoup de déficits de mouvements d’une partie du corps, qui peuvent entraîner une pathologie, démarrent par un déficit de perception de l’espace. 
     

    P. K. : Ce déficit de perception de l’espace, est-ce que tu le nommes en termes émotionnels ? Tu parlais d’un ralentissement du mouvement dans certaines zones de l’espace, s’agit-il de peurs ou d’autres émotions ?  

    H. G. : On peut dire qu’autour de soi, on a une sphère de projection et celle-ci n’est pas du tout continue. Il y a des zones que l’on privilégie, où l’on revient sans cesse, d’autres qui sont des zones d’ombres, d’autres qu’on évite… Ces zones d’ombres peuvent être dues à des accidents, éventuellement des traumas. Je me rappelle avoir traité quelqu’un, il n’y a pas si longtemps, qui avait une scoliose qui diminuait fortement ses capacité gestuelles. C’est un kinésithérapeute lui-même, et visiblement sa présence à l’espace de droite était fortement diminuée. Le fait de marcher avec lui de son côté gauche était perçu comme normal, tandis que lorsque je marchais à sa droite il ressentait ma présence comme légèrement menaçante. Un premier travail sur son pied et sa jambe droite permet de repérer quelques dysfonctions locales qui sont traitées. La reconstruction d’un support fort sur sa droite permet ensuite d’aborder un travail sur l’espace droit, d’ouvrir une vision périphérique manquante. Ce travail fait surgit chez lui un retour de mémoire, un événement passé. Lorsqu’il avait 5 ans, en courant sur un terrain de football pour rejoindre son père qui s’entraînait, il a reçu très fortement le ballon sur sa tempe droite. À partir de cette élaboration et d’un travail suivi de réhabilitation il a pu sortir de ses limites vertébrales, alors que de nombreux traitements, qui s’adressaient seulement à sa structure physique, n’avaient jamais réussi à toucher l’origine de son déficit. Il s’agissait bien d’une torsion de l’espace, avant d’être une torsion du corps. 
     
    Au niveau de la danse, il y a quelquefois une tendance trop technicienne du corps qui oublie que finalement c’est l’événement esthétique qui est premier dans les modes de construction du projet gestuel. Quel espace j’ouvre devant moi, comment je vais inventer quelque chose dans cet espace ? Comment je le dynamise ? Il n’y a pas un dedans et un dehors, le corps et l’espace. L’espace est d’emblée pris dans la phénoménologie de sa construction imaginaire. On ne peut pas séparer le corps de la dynamique qui construit l’espace. C’est l’agencement d’une histoire particulière de modes perspectifs, de dynamiques spatiales qui peuvent engendrer finalement une espèce de carcan dans lequel le corps va être pris. La réouverture vers de nouveaux mouvements, c’est un retour vers un nouvel espace d’action. 
     
    (…)
      
    Des trous noirs, un entretien avec Hubert Godard par Patricia Kuypers, in Nouvelles de Danse n°53 « Scientifiquement Danse », p.64-65, aux Éditions Contredanse, 2006.
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