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    NDD#89 – La puissance du collectif – Échange avec Sophie Melis

    Laetare de Stavelot 2023 © Marek Szponik

    Propos recueillis par Alexia Psarolis

    « La danse fait partie de ma vie depuis toujours et contribue à me définir en tant que personne. » C’est ainsi que se présente Sophie Melis, danseuse et performeuse, formée à l’improvisation. Passionnée par la danse sociale et la création de liens et de communautés, elle développe une recherche autour des danses wallonnes, What happened to social dancing?, soutenue par Garage 29, la Fédération Wallonie-Bruxelles, Charleroi danse et, plus récemment, Un futur pour la culture via un projet de transmission intergénérationnelle en collaboration avec le Centre culturel de Stavelot.

    Tu t’intéresses à la danse sociale dans son sens populaire. Quelle(s) définition(s) en donnerais-tu ?

    Sophie Melis : Il existe différents contextes qui permettent une expérience de communion collective dans l’espace public comme, par exemple, le Carnaval, les festivals, manifestations… À une plus petite échelle, l’espace de danse (club, studio…) peut jouer ce rôle. La danse sociale est une expérience collective très concrète car ancrée dans le corps physique ; elle a le pouvoir de nous connecter à nous-même et aux autres. Tu connais la sensation de partager le dance floor avec tes amis et amies, quand la musique est bonne et qu’un genre de bulle magique s’installe autour de vous ? Quand la musique traverse ton corps et que tu ne te poses pas de questions ? Que ce soit pour célébrer ou pour exorciser, cette sensation est bienfaisante et soignante. Je dirais que la danse sociale est un endroit de résistance à l’isolement et à la compétitivité imposée par nos modes de vie. Une porte d’entrée potentielle vers la révolution.

    Pourquoi as-tu choisi de travailler sur/à partir des danses traditionnelles wallonnes ?

    J’ai choisi la danse wallonne comme point de départ quand je me suis rendu compte combien elle était proche de moi. Originaire de la région, il y a toujours eu dans la famille élargie quelqu’un qui danse au Réveil ardennais, un groupe de danses folkloriques traditionnelles de Stavelot. J’ai grandi en voyant ce groupe danser au lætare 1 et aux fêtes ardennaises et il m’a toujours fait rêver. Ce groupe réunissait plusieurs des éléments qui me passionnent dans la pratique sociale et collective de la danse. Le Réveil ardennais, qui fêtera son 75e anniversaire à l’automne 2024, est le plus ancien groupe de danse traditionnelle actif de Wallonie ; son répertoire comporte 53 danses régionales et ses membres sont généralement âgés. Ce savoir ancestral et cette histoire riche doivent être transmis. Je rêve d’étendre cette recherche à d’autres courants festifs, musicaux et dansants, à d’autres époques, comme la new beat, par exemple, et de les mettre en conversation.

    En quoi consiste ta recherche intitulée « What happened to social dancing » ? 

    Depuis un an, j’ai rejoint le Réveil ardennais de Stavelot, avec qui je répète toutes les semaines et j’apprends de nombreuses danses wallonnes (maclottes, quadrilles…). Ce sont des danses de couples en interaction avec d’autres couples qui se rencontrent et évoluent dans l’espace en suivant des figures très précises. Tout récemment, j’entame la « deuxième » phase de la recherche, qui consiste à partager avec d’autres collègues ce que j’ai appris et continue d’apprendre depuis un an, et à explorer ensemble le matériau. Garage 29 nous accueille pour deux résidences en mars et en mai de cette année.

    Je pose la question : Comment être ensemble ? Que reste-t-il de ces modes de fête anciens dans nos pratiques festives contemporaines ? Et je pense qu’il reste beaucoup plus qu’il n’y paraît. Bien que les danses de couples aient disparu des clubs (sauf espace dédié aux différentes danses salsa, tango, Lindy Hop, folk…), il suffit de plonger dans ces danses wallonnes un instant pour y retrouver de nombreux éléments de sociabilité toujours d’usage inscrits dans les chorégraphies. Les danses wallonnes sont aussi imprégnées des différentes époques qu’elles ont traversées et des politiques qui les accompagnent, elles contiennent des morceaux d’histoire et de culture. C’est un sujet fascinant qui va m’occuper encore longtemps.

    Les rencontres et les codes sociaux sont au centre de ces danses. Que cela veut-il dire aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux ?

    La rencontre est au cœur de ma recherche. D’autant plus à l’ère des réseaux sociaux mais d’autant plus encore à l’ère de l’hyper-individualisme et de l’isolement généralisé. Comme je l’ai dit, l’essentiel de mon travail et de ma vie est centré autour de la connexion et la création de lien et de communauté. Mon médium étant la danse, cela se manifeste par la réunion physique de corps dans un même espace. Je rêve d’espaces accessibles et accueillants pour tout le monde, corps dansants ou non, d’espaces d’ « empouvoirement » même éphémères, d’espaces qui nous donnent la force d’avancer et d’agir ensemble dans un monde qui s’écroule.

    Les réseaux sociaux ont aussi leur rôle à jouer car ils sont un véhicule d’information essentiel ; je pense bien sûr à la guerre à Gaza et au dévouement des personnes qui vivent cet enfer… Les réseaux sociaux sont générateurs de communautés et de solidarité, localement et internationalement. Je crois vraiment en la puissance du collectif.

    1 Le Lætare est une fête traditionnelle célébrée principalement à Stavelot, en province de Liège, pendant les trois jours (samedi, dimanche et lundi) du Carême.

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