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    NDD#89 – Danses populaires : entre modes éphémères et rituels incontournables

    © CC Merksem

    Dominique Pillette

    Outre leur rôle évident de divertissement, les danses populaires ont eu pour fonction première et principale la création et l’entretien du lien social. Et, liées aux événements de la vie privée comme aux soubresauts de l’Histoire, elles ont souvent fait office de thérapie sociale. Tour d’horizon.

    Dès l’Antiquité, à côté des danses culturelles, les Grecs pratiquaient une foule de danses populaires au cours de réjouissances privées, naissances, mariages, fêtes de famille et autres joyeux banquets. Il existait, en outre, dans les diverses régions de Grèce, un grand nombre de danses rustiques et gaies liées au retour des saisons, aux travaux des champs, aux vendanges. Au Moyen Âge, ces temps de peurs et de calamités, la danse est un nécessaire exutoire et toutes les occasions sont bonnes pour la pratiquer. De façon collective lors de fêtes religieuses aux parvis des églises (Noël, Mardi gras, mi-carême), en couples lors de fêtes profanes liées aux événements de la vie (fiançailles et noces) ou au cycle du temps et à la fécondité (rondes de mai, de la Saint-Jean, danses de moissons et vendanges). Plus ou moins dérivées d’anciennes danses païennes, ce sont des rondes ouvertes ou fermées, exécutées soit sur place en sautillant, soit au pas marché, ou bien des chaînes, des farandoles au pas sauté. La carole des XIIe et XIIIe siècles se danse sur des chansons festives et populaires. Gaillardes, bourrées, gigues, cotillons, musettes, villanelles sont des danses sautées, turbulentes et quelque peu désordonnées.

    Du bal à la guinguette : des danses, des lieux, et des plaisirs

    Après l’épisode sanglant de la Terreur et sa carmagnole révolutionnaire, une nouvelle société s’étourdit de plaisirs. Cette frénésie est marquée par la dansomanie, phénomène lié à l’introduction des danses de couple fermées, comme la valse, qui galvanise toute l’Europe. Si de nombreux bals plus ou moins extravagants fleurissent dans Paris, on danse jusque dans les greniers misérables des faubourgs, dans les caves des restaurants, les sous-sols des boutiques.

    À la fin du XVIIIe siècle, dans toutes les classes sociales, la contredanse est la reine des bals. Danse en ligne née en Angleterre, elle s’exécute en carré et en rond lorsqu’elle devient française, sur deux temps, à 8, 12, 16 personnes ou plus. Plus tard, la contredanse évoluera en cotillon, puis, au XIXe siècle, en quadrille. À Paris, le phénomène des bals publics ouverts à tous (mais payants) connaît son apogée sous la monarchie de Juillet (1830-1848) dans les jardins installés pour la plupart aux Champs-Élysées, comme le bal Mabille, où triomphent valse, polka et mazurka. Au bal Bullier, inauguré en 1847 dans le quartier de Port-Royal, on danse le quadrille et la valse, bientôt remplacés par la polka et le chahut-cancan, puis par la mazurka et la scottish.
    À partir du Second Empire se multiplient les guinguettes qui existaient déjà le long de la Seine et de la Marne. À Charenton, Suresnes ou Chatou (avec la célèbre maison Fournaise peinte par Renoir), ces buvettes dansantes accueillent une clientèle parisienne endimanchée venue goûter aux joies de la nature, de la danse et du nautisme. On y pratique après 1900 de nouvelles danses importées des Amériques : boston, matchiche, cake-walk…

    À la fin du XIXe siècle, le quartier de Montmartre, avec ses anciens moulins transformés en lieux de divertissement, est très couru. Immortalisée par les peintres comme Renoir ou Toulouse-Lautrec, une nouvelle génération de bals, tels le moulin de la Galette et le Moulin-Rouge proposent au Tout-Paris, outre une piste de danse, des salles de restaurant et de concert ainsi que des attractions dansées, un jardin et bien d’autres divertissements. La polka y règne toujours, mais concurrencée par le quadrille, le chahut puis le cancan.

    Des influences multiples

    Vers 1910, le sulfureux tango argentin s’exporte partout dans le monde et déclenche une onde de choc dans toute la société française. De thés tango en démonstrations et conférences, la tangomania prolifère durablement. Entre les deux guerres, les danses swing font fureur. Importé en 1925 par la première Revue Nègre au théâtre des Champs-Élysées, dans laquelle triomphent Sidney Bechet et la jeune Joséphine Baker, le charleston devient la danse de société de référence, tandis que fox-trot, shimmy, black bottom, rumba des Caraïbes, biguine martiniquaise, matchiche et samba brésiliennes enivrent par la sensualité de leurs rythmes. Les danseurs bravent les critiques virulentes contre ces danses « sauvages, vulgaires et licencieuses » et envahissent clubs et dancings, notamment ceux du quartier Montparnasse, comme le Bal Nègre de la rue Blomet.

    Dans le même temps à Paris, les anciens bals publics se développent. Ils abondent dans les quartiers populaires, Belleville, Ménilmontant, la Bastille, avec le fameux Balajo de la rue de Lappe. Appelés bals musette, ils sont majoritairement tenus par des Auvergnats qui ont apporté avec eux les musiques et les danses du pays : bourrée, valses, scottish, polka, mazurka… Peu à peu, avec l’influence de la mode exotique, elles se transformeront en tango, paso doble, rumba et autre java.

    Entre 1940 et 1945, les bals publics sont interdits en France par le gouvernement de Vichy « au nom de la morale et de la décence ». C’est sans compter sur la jeunesse des campagnes qui déploie des ruses de Sioux pour improviser des bals clandestins, le plus souvent dans les granges, maisons isolées, fermes abandonnées. On s’y amuse, on y oublie pour un temps les affres de l’Occupation et ces bals servent aussi parfois à collecter de l’argent pour les maquisards.

    Durant les années 40-50, c’est le mambo, danse cubaine qui mélange les rythmes africains, latinos et jazz, qui l’emportera dans les clubs, jusqu’à l’arrivée du cha-cha-cha en 1954. Nouvelle folie des années 50, le rock and roll détrône peu à peu les danses swing acrobatiques comme le Lindy Hop, le jitterbug, le be-bop que pratiquaient les Parisiens dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. La danse rock séduit toute une jeunesse qui rivalise de virtuosité dans l’exécution de passes plus ou moins complexes. Au début des années 60, l’immense succès du twist est sûrement dû à sa simplicité – il s’agit de « tortiller » son bassin en rythme –, mais aussi au fait qu’il peut se danser sans partenaire et par tous, y compris les timides et les piètres danseurs. Sa concurrente, le madison, se danse en ligne seul ou en couple, mais sans contact. Et jusqu’à la fin des sixties, on s’agitera librement sur le jerk au son de la musique psychédélique.

    Les dance floors mis en boîtes ou en pleine nature

    À Paris s’ouvrent des clubs « sélect » : Chez Régine, Castel, New Jimmy’s. Quelques night-clubs deviennent incontournables : La Locomotive, le Bus Palladium, le Gibus, le Whisky à Gogo. Sur tout le territoire, de 1970 à 1990, c’est l’âge d’or de la discothèque, formule moderne du bal d’antan qui brasse une clientèle plutôt jeune.

    Dans les années 70-80, l’exubérant disco, mélange de soul, funk et pop, se danse en imitant John Travolta dans Saturday Night Fever. En quelques années, avec ses paillettes et ses looks clinquants, le disco squatte les dance floors du monde entier, mais s’essouffle dans les années 80. Tandis que le Tout-Paris de la nuit s’éclate dans des « boîtes » aussi mythiques que Le Palace ou Les Bains Douches, hauts lieux de la fête underground parisienne. Au début des années 1990, le voguing, en lien avec le monde de la mode, est porté par les drag-queens, dont les mouvements de danse sont calqués sur ceux des top models arpentant les cat walks.

    Des années 1989 à 1994, la rave party est un phénomène de masse populaire, anonyme et gratuit. Rassemblements autour de la house music, dont le rythme minimal répétitif met en jeu des mécanismes primitifs liés à la transe, les rave parties sont organisées en pleine nature ou dans des lieux déserts (usines et entrepôts désaffectés). On y danse pour libérer son énergie sans retenue. Entre 2000 et 2008, la tecktonik séduit les adolescents du monde entier qui dansent en tenues fluo moulantes sur de la musique électro. Son succès croissant attirera les marques, qui la réduiront à un phénomène commercial.

    Danser pour faire la fête : modes et rituels

    Durant cette période, plusieurs autres phénomènes de mode se détrônent les uns les autres, zumba, twerk, et autre dab… Quant aux flashmobs, elles sont liées au phénomène Internet : un message sur les réseaux sociaux suffit pour inviter un groupe de personnes à se présenter à un endroit précis : hall de gare, place de ville, parc…), à une heure précise, pour se livrer à une danse collective dont on aura trouvé en ligne le tutoriel de la chorégraphie. Durant vos vacances, vous avez peut-être testé la dernière danse de l’été. Lancées à grands coups de matraquage publicitaire, elles enflamment les plages depuis les années 60. Les couples « collés-serrés » fusionnent en se déhanchant, souvent sur des rythmes zouk et afro-caribéens ; on se souvient de la lambada particulièrement sensuelle de la fin des années 80.

    Quant au fameux bal du 14-Juillet, il apparaît en 1879 lors de la première commémoration de la prise de la Bastille et devient, dès l’année suivante, un rituel incontournable sur tout le territoire. Aujourd’hui encore, ces bals populaires sont fréquentés par un public hétérogène, qui gambille en toute fraternité. •

    Article publié dans la revue Ballroom, n°15, Paris, 2017, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteure.
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