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  • Nouvelles de danse

    NDD#72 L’Homme est-il un animal comme un autre? et d’autres questions autour de l’humanimal de la compagnie 3637

    © Bénédicte Mottart

    Par Laurence Winant

    Lorsqu’on pense à l’enfance, la nature est un thème qui relève de l’évidence tant elle sert de support à une multitude d’apprentissages : qui n’a pas appris le cycle des saisons en dessinant ou en observant un arbre dans ses différents états ? Qui n’a pas le souvenir d’un quelconque imagier d’animaux ?

    Aussi, lorsqu’on observe la foisonnante production d’œuvres pour la jeunesse, on constate que la nature et les animaux y sont omniprésents. Il suffit en effet de penser au Livre de la Jungle, à Nemo, à Robinson Crusoé et à bien d’autres pour s’apercevoir que l’imaginaire proposé aux enfants est peuplé de nature. En ce sens, le spectacle humanimal de la chorégraphe Bénédicte Mottart (compagnie 3637) s’inscrit dans le prolongement d’une longue tradition qui tend à rapprocher enfance et nature. Un défi d’autant plus difficile que, lorsqu’on aborde une thématique éculée, celle-ci charrie nécessairement avec elle un certain nombre d’attentes et d’idées reçues. humanimal… Lorsqu’on voit les mots « humain » et « animal » mêlés, on s’attend peut-être, par exemple, à ce qu’un message soit proposé aux enfants : la nature et ses dangers ne sont-ils pas un excellent moyen de leur apprendre à dompter leurs instincts ? Ce n’est cependant pas la voie empruntée par la chorégraphe. Elle propose en effet une œuvre pour les enfants (à partir de 5 ans) qui prend de la distance avec les représentations lisses de la nature. Et si l’accès à ce spectacle pourra par conséquent nous déstabiliser en tant qu’instituteurs, éducateurs ou parents, on pourra en profiter pour emprunter à notre tour des chemins de réflexion peut-être inexplorés jusque-là. Et, pourquoi pas, inviter les enfants à s’y aventurer avec nous ?

    Nature et édification morale

    Quand on emmène des enfants voir un spectacle, on est souvent tenté de considérer que celui-ci devrait leur transmettre un message à la fois clair et édifiant. Les animaux et la nature sont d’ailleurs souvent utilisés comme autant d’instruments d’édification morale des enfants. On peut cependant s’interroger sur l’efficacité des messages que certaines œuvres destinées à la jeunesse souhaitent faire passer. Ainsi, dans son livre Enfance et nature, l’historienne des sciences Valérie Chansigaud observe qu’après la sortie du film Nemo, la vente de poissons-clowns a explosé. Ce qui montre que, si le film a manifestement marqué son public, le message (« Libérez les animaux ») n’est pas pour autant passé. Cette anecdote nous invite à interroger le statut de la morale lorsqu’il s’agit d’emmener des enfants voir un film ou un spectacle : n’y a-t-il pas un intérêt à confronter aussi les enfants à des œuvres qui n’ont pas pour ambition de suggérer lisiblement une manière adéquate de se comporter ? On peut en effet penser que s’ils sont mis devant la possibilité de construire eux-mêmes le sens de ce qu’ils voient, ils seront plus à même de s’approprier celui-ci. Or, en proposant un spectacle sans paroles, où le corps, son animalité, ses extases, ses vibrations et ses ressources inattendues occupent une place centrale, la chorégraphe fait le pari de ne pas imposer un contenu moral. Plus que des réponses, ce sont des questions qui jailliront de la confrontation des adultes et des enfants avec ce corps en mouvement. Des questions relatives à la nature, à l’instinct, au corps, à l’animalité. Des questions qui soulèvent des enjeux philosophiques de taille, enjeux qui regardent tant les enfants que les adultes.

    Animalité humaine

    Si le but de Bénédicte Mottart n’est pas de singer les mouvements des animaux, elle cherche, par le moyen de la danse, à évoluer sur le plateau comme un être humain qui ferait la part belle à ce qu’il y a de sauvage et d’animal en lui. Le spectacle se présente ainsi comme une invitation à se pencher sur une question qui agite les philosophes depuis la nuit des temps : l’homme est-il un animal comme les autres ? Cette question vaut la peine d’être posée, travaillée et creusée avec les enfants parce qu’elle permet d’interroger un certain nombre d’idées reçues qui peuplent leur imaginaire et touchent indirectement à des questions de société essentielles. Pour les aborder, on peut proposer aux enfants d’effectuer un classement à partir d’une série de verbes tels « espérer », « hiberner », « pleurer », « lire », « contempler », « danser » : ces actions peuvent-elles être faites par les hommes et les animaux, par une seule ou par aucune des deux espèces ? Cette proposition ne manquera pas de susciter de nouvelles questions… Et pour aller plus loin, on peut demander aux enfants pourquoi, selon eux, on dit souvent d’un enfant cruel qu’il se comporte comme le pire des animaux : la cruauté est-elle vraiment l’apanage des animaux ? On peut encore leur demander pourquoi l’idée selon laquelle l’Homme serait légitimement supérieur à l’animal est à ce point répandue : de quelle supériorité parle-t-on ? Et, si elle existe vraiment, qu’autorise-t-elle ? Travaillées avec les enfants en lien avec le spectacle, ces questions leur permettent – pour autant que nous n’induisions pas les réponses que nous souhaiterions entendre – de développer progressivement un regard réflexif sur leur condition d’êtres humains et sur ce qui fait la singularité de leur rapport au monde.

    C’est naturel ?

    « En proposant un voyage éloigné des acquis culturels et sociaux dont l’homme s’inspire habituellement (apprentissage, langage, science, technologie, etc.), l’envie est d’induire une reconnexion à nos capacités innées, fondamentales. » Bénédicte Mottart

    Au-delà de l’animalité, la question de la nature est elle aussi au centre du spectacle dans la mesure où la chorégraphe cherche à explorer ce qu’il reste lorsqu’on tente de se départir des apprentissages et des codes culturels et sociaux qui nous forgent. « C’est une force de la nature, il est de nature colérique, c’est tout naturel, yaourt nature »… On mobilise souvent la notion de « nature », notamment avec les enfants, sans la questionner : quels sont les multiples sens qui se nichent derrière cette notion ? Que considère-t-on comme naturel ? Pourquoi ? Poser la question aux enfants, c’est leur permettre de faire progressivement la distinction entre nature et culture, et c’est aussi, indirectement, leur donner la possibilité de faire la distinction entre les déterminations sur lesquelles ils n’ont pas de prise et la marge de liberté qu’ils ont par ailleurs pour choisir ce qu’ils souhaitent en faire. Poser la question aux enfants et leur donner la possibilité d’y réfléchir à partir d’exemples, c’est aussi leur permettre de dépasser certains a priori, notamment lorsqu’il est question de qualifier un comportement humain par ces mots : c’est pas naturel ! Pour ce faire, on peut s’appuyer sur le livre pour enfants de l’artiste Gwenn Seemel intitulé Le crime contre nature, dans lequel elle relève en images la diversité qui existe dans les comportements naturels. Non, les garçons et les filles n’ont pas toujours l’air différent les uns des autres : regardons les zèbres, par exemple. Ainsi, pour peu qu’on accepte d’emmener les jeunes spectateurs vers des terres inconnues, le spectacle humanimal pourra constituer un support fertile pour permettre aux enfants de déployer une réflexion sur la part animale tapie en eux ainsi que sur la multiplicité des réalités que recouvre le mot « nature ». •

    Lauranne Winant pratique depuis plusieurs années la philosophie avec les enfants et les adolescents, principalement dans le champ du théâtre et de la danse jeune public.
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