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  • Nouvelles de danse

    NDD#72 Alain populaire : une vie en clair-obscur

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    Par Marine Dubois

    En août dernier, Alain Populaire quittait la vie comme il avait quitté la scène de nombreuses années auparavant, en toute discrétion, à l’image des silhouettes qui hantaient son théâtre. Homme aux multiples talents, il avait rêvé d’un spectacle total, entre théâtre et danse, ombre et clair-obscur, froissement et silence, sorte de rituel de vie et de mort.

    Né en 1947, Alain Populaire commence sa carrière de metteur en scène dans la mouvance de ce qu’on a appelé durant quelques décennies, le « Jeune Théâtre », qui fait sa révolution dans les années 70 et bouscule l’establishment théâtral aux mains du Théâtre national de Belgique. Des metteurs en scène comme Philippe Sireuil ou Philippe van Kessel renouvellent le langage dramaturgique, le Théâtre Laboratoire Vicinal explore le corps de l’acteur et ouvre la voie au théâtre du corps. En 1977, Alain Populaire, très influencé par Kantor, leur emboîte le pas et fonde le Théâtre impopulaire, clamant d’emblée, haut et fort, son refus des lignes et des convenances scéniques. Homme de plume dans les premiers temps, il monte des textes de Gaston Compère, mais aussi ses propres textes : Âmes en 1980, WZ ou Witkiewicz en 82 ou encore Respire à L’Esprit Frappeur en 84, co-écrit avec Nicole Cabès, et dernier rôle de l’actrice Marthe Dugard. Si la parole est encore bien présente, la musique, les arts plastiques et le geste sont déjà là pour faire rêver d’un spectacle total.

    Éloge de la lenteur

    En 1985, il installe les transats de Lagune, créée l’année précédente, sur la plage du Théâtre Banlieue, à Ixelles. Il abandonne la parole, laisse la place aux corps, ralentit le mouvement. « À l’origine, c’était à cause de l’impuissance des mots », dira-t-il dans un entretien avec Solange Lévesque paru en 1996 dans Jeu. « J’étais préoccupé par des problèmes métaphysiques et je constatais que, si les mots pouvaient les exprimer à un niveau poétique que je ne pratiquais pas, le corps pouvait aussi les exprimer d’une manière que j’étais capable d’aborder. » Ce spectacle, probablement l’un de ses plus beaux, véritable moment de poésie porté par de lents mouvements et la musique originale de Jean-Luc Fafchamps, fera date et ouvrira le chemin du théâtre-danse. Il rencontre Bach et la chorégraphe Michèle Swennen à la Caserne Dailly avec Toute joie désire la profonde, profonde éternité, titre emprunté au Zarathoustra de Nietsche. Ce chemin vers l’épurement – geste imperceptible, musique ténue jusqu’au silence, lumière crépusculaire – culminera dans Hiai couronné par le Prix du Jeune Théâtre en 1986. Espace vide, obscurité, silence, gestes lents de trois femmes, fragile rituel pour on ne sait quel dieu… Alain Populaire rompt avec tous les codes et propose au spectateur en perte de repères une méditation onirique et envoûtante, à l’image de ces Formes spirituelles dont il a rebaptisé sa compagnie. Après cette proposition radicale et dépouillée, aux antipodes du spectacle, le metteur en scène opère un lent retour et réintègre la musique et le chant. Il retournera même au texte pour « régler ses comptes avec L’Imitateur de Thomas Bernhard » (F. Chenot). Il trouvera à la Chapelle des Brigittines un écrin parfait pour les moniales de Du Regard, la sensualité d’Ophelia’s ou l’extase des Équinoxes.

    Entre provocation et marginalité

    Populaire, Alain ne le sera jamais vraiment. Sa radicalité dérange, ses spectacles sans concession font parfois fuir, sa personnalité crispe. C’est qu’Alain Populaire ne mâche pas ses mots. Et se cabre quand sa subvention diminue ou qu’on lui refuse un lieu. Le reproche majeur ? Il n’entre pas dans les « cases » déterminées par l’administration de la culture : ni tout à fait du théâtre, ni vraiment de la danse. D’autant qu’à côté des spectacles de théâtre-danse, il revisite le texte d’auteur. Ses revendications ? Qu’on l’apprécie selon « des critères originaux », lui qui se revendique tout à la fois du théâtre classique, des arts plastiques, de la musique et de la chorégraphie. Cette révolte, le metteur en scène la portera en permanence, se positionnant en porte à faux des discours artistiques et fustigeant les politiques culturelles de la Communauté française ou plutôt l’absence de politique. Éternel marginal, il a préféré le mutisme. Il s’est tu. •

    Martine Dubois est journaliste culturelle, ancien membre de la Commission Danse, puis du Conseil de l’Art de la danse.

    Profondeur et silence

    Par Patrick Bouté

    Un spectacle chorégraphique peut aussi se voir et se construire comme un acte théâtral, lorsque l’émotion qu’il suscite ne dépend pas d’un seul vecteur d’expression (le mouvement) mais de l’utilisation de divers éléments (la musique, la voix, l’image…) dont la combinaison s’articule en fonction d’une recherche de théâtralité. La théâtralité est un propos ou un enjeu mis en situation, en espace, en signes. Ces signes doivent être clairs pour devenir partageables mais à la fois demeurer mystérieux, indiquant que ce à quoi touche l’art est du domaine de l’imperceptible et de la polysémie. C’est avec cette intention, dans cette forme de pensée qu’Alain Populaire a créé ses spectacles, revendiquant d’emblée et très ouvertement le caractère métaphysique de la scène. Ce que personne, à l’époque, n’attendait vraiment (les choses ont-elles changé ?). C’étaient des œuvres à part, en décalage total avec la pratique générale, des méditations en mouvement, profondeur et silence. Son travail comme sa parole ont ouvert des portes, permis des audaces, délivré une liberté. Sans y prétendre, ils ont pris une valeur de repère et ont donné un signal. C’était un moment important pour l’histoire des formes scéniques. En ces temps d’immanence et d’obédience au banal, nous pourrions revenir à cette source et la réinventer ! •

    Patrick Bonté est auteur, metteur en scène et directeur des Brigittines.
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