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    NDD#69 DOSSIER La danse est-elle engagée?

    Dossier coordonné par Alexia Psarolis

    La danse met en scène le monde, s’en imprègne, le reflète, mais ne se limite pas, selon Sally Banes1, à ce rôle mimétique. L’historienne américaine du théâtre et de la danse juge réductrice cette théorie de la culture-miroir développée par les historiens et considère que l’art chorégraphique peut également être facteur de changement. L’Histoire nous fournit quelques exemples de cette fonction performative de la danse – au sens linguistique2 – et de sa propension à agir sur le monde. (Au XVIe siècle, Catherine de Médicis utilise les ballets à des fins politiques. Au XVIIIe siècle, les ballets délivrent un enseignement moral.)
    « La danse est une arme » clamera-t-on de l’autre côté de l’Atlantique. C’est le slogan que brandissent avec véhémence les danseuses du New Dance Group. Fondé en 1932 à New York par six étudiantes en danse moderne, ce collectif (actif jusque dans les années 50) considère la danse comme une arme dans la lutte des classes et aborde dans ses créations des questions tant politiques que sociales.

    Dénoncer, remettre en question, provoquer. Créer pour changer le monde, credo soixante-huitard ? Durant les années 70, célèbres pour leur parfum libertaire, les artistes chorégraphiques s’organisent en collectif, en Europe comme aux États-Unis. De la danse moderne et post-moderne à l’époque contemporaine, Roland Huesca, philosophe et professeur d’esthétique, pointe les moments phare de cet engagement qui trouve toujours écho aujourd’hui. Des exemples ? Les Indignés, Podemos, Syriza, Nuit debout… Ces mouvements politiques et/ou citoyens qui ont récemment émergé en Europe ont fait souffler un vent nouveau. Places prises d’assaut, campements de fortune, groupes de réflexion : la résistance s’est organisée nuit et jour pour redonner du sens au mot « démocratie »… avec un succès inégal et la gueule de bois des lendemains de fête. Comment le champ chorégraphique s’est-il alors (dé)mobilisé ? Jean-Marc Adolphe, ex-directeur de la revue Mouvement, nous donne sa lecture de Nuit debout et, au-delà, livre une analyse de cet écheveau inextricable que constitue danse et politique.

    Du point de vue des artistes, comment l’engagement s’incarne-t-il dans le corps dansant ? Touchées par l’actuelle crise des migrants et par toutes les injustices, Lisa Da Boit et Céline Curvers, de la compagnie Giolisu, mènent leur combat avec constance, là où frappe le non-respect de l’être humain, qu’il soit homme ou femme, d’ici ou d’ailleurs. L’entretien qu’elles nous ont accordé respire une indignation et une rage qu’elles subliment dans leur nouvelle création, au titre éloquent : Ferocia. Résistance et insoumission ne sont pas à porter au seul crédit des artistes ; les programmateurs révèlent également au travers de leurs choix une certaine idée du monde. Antoine Pickels, artiste, écrivain et curateur, partage son témoignage, riche de ses expériences, lui qui fut directeur artistique du festival Trouble aux Halles de Schaerbeek, dédié à la performance, et qui, aujourd’hui, programme l’événement SIGNAL, consacré à l’art vivant dans l’espace public.

    Créations au discours politique latent ou manifeste, débats dans les centres culturels… c’est dire si, loin de rester impassible face aux troubles du monde, le secteur chorégraphique draine en son corps des effluves d’insoumission. En ce début de XXIe siècle troublé, sur scène ou dans l’espace public, la danse essaie de se faire entendre. Contestataires ou subversives, ces postures qui s’affirment aujourd’hui sont-elles pour autant toujours audibles ? •

    1 Sally Banes, Pouvoir et corps dansant in Danse et utopie, éd. L’Harmattan, 1999, p. 27.
    2 Théorie développée par John L. Austin dans How To Do Things with Words (Quand dire c’est faire), en 1962 : énoncer une phrase coïncide avec l’accomplissement d’une action. On retrouve cette référence dans le titre du livre de Kowal How To Do Things with Dance: Performing Change in Postwar America, Wesleyan University Press, 2010.
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