Bookshop
  • Français
  • English
  • Nouvelles de danse

    NDD#63 L’art difficile de filmer la danse | Entretien avec Wolfgang Kolb

    Landscape duet de Pierre Larauza sélectionné au festival international de films de danse en 2014

    Propos recueillis par Naomi Monson

    Le Danscentrumjette et la « Cinematek » accueilleront en septembre la quatrième édition du Festival international du film de danse à Bruxelles. à cette occasion, nous avons rencontré l’un de ses fondateurs, Wolfgang Kolb.

    Wolfgang Kolb, co-responsable du Danscentrumjette, lieu dédié au développement de la danse contemporaine créé par la danseuse Roxane Huilmand en 1996, est, avec Stefanie Bodien, l’initiateur de l’« international dancefilmfestivalbrussels » dont la quatrième édition se déroulera en septembre. Organisé par le Danscentrumjette en collaboration avec Contredanse, la « Cinematek », le Goethe-Institut de Bruxelles et le Tanzarchiv de Cologne, le festival « L’Art difficile de filmer la danse » regroupe un ensemble de films de danse répartis en plusieurs catégories. Tandis que les trois éditions précédentes abordaient la production de films de danse américaine, belge et française, cette année les films de danse allemands sont à l’honneur. Wolfgang Kolb a filmé l’univers de Rosas à ses débuts et contribué à rendre la compagnie mondialement célèbre avec son film Hoppla ! en 1989. Il a mis son art au service de la profondeur et de la fragilité du mouvement en un temps où peu de réalisateurs s’y confrontaient.

    Comment votre parcours en tant que réalisateur de films de danse a-t-il vu le jour ?

    Mon premier film fait suite à la rencontre d’une danseuse de Mudra lors de mon arrivée à Bruxelles. L’énergie qui l’animait lorsqu’elle dansait m’a donné envie de la filmer. Aussi, dans la mesure où, originaire du lac de Constance, je ne parlais pas encore très bien le français, j’ai trouvé dans le mouvement un véritable langage. Ce qui m’a poussé à filmer la danse provient d’abord de ma volonté à filmer les êtres humains, les danseurs eux-mêmes. C’est ce qui s’est passé lorsque j’ai filmé les artistes de Rosas à leur début. Lors du montage des films, Anne Teresa de Keersmaeker me faisait entièrement confiance, c’était magnifique. Rosas était une expérience de groupe, en partage. J’ai tenté de capter l’éphémère de leur aventure, j’ai voulu refléter la réalité de cette compagnie.

    En 2012, vous créez le festival international de films de danse qui se tient chaque année à Bruxelles. Comment cet événement est-il né ?

    Si la naissance du Festival international de films de danse date de 2012, ses prémices sont, quant à elles, moins récentes. Le Danscentrumjette était alors à ses débuts et bénéficiait de subventions. Dans ce cadre, nous réalisions des petits films de promotion que nous présentions à l’occasion d’un festival que nous organisions tous les deux ans. Petit à petit, nous avons été amenés à montrer nos vidéos de danse à nos élèves, des danseurs professionnels et amateurs qui ont fini par former un véritable public. En voyant les films de danse actuels, nous avons eu l’envie d’explorer ce qui s’est créé autour de nous. Ce qui est devenu la section « films actuels » du festival « L’art difficile de filmer la danse » ouvert aujourd’hui au monde entier était initialement constitué de films de danse créés au sein du Danscentrumjette.

    Le festival est constitué de deux sections. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

    Le festival est en effet constitué de deux sections réparties sur deux jours. La première, qui se déroule à la « Cinematek », concerne un pan historique ou thématique des films de danse. La deuxième, qui se tient, quant à elle, au Danscentrumjette, s’intéresse aux films contemporains datant des deux dernières années. Au sein de celle-ci se côtoient trois genres : des films documentaires, des films expérimentaux et des films de danse. Dix films de danse sont sélectionnés par un jury constitué de Stefanie Bodien, Matilde Cegarra, Rudi Maerten, Daniel Lehman et moi-même. Ils sont ensuite montrés au public. Lors de la projection, nous essayons d’inviter les dix réalisateurs pour parler et partager leurs expériences avec l’audience. D’année en année, nous recevons davantage de films, ce qui rend nos choix plus difficiles. Aujourd’hui, beaucoup de gens ressentent la nécessité de communiquer dans un langage universel: le langage de la danse moderne. Le genre «films de danse» se porte à merveille.

    Quels critères orientent vos choix lors de la sélection des films contemporains ?

    Nous aimons que le réalisateur du film que nous sélectionnons ait un point de vue, qu’il s’agisse de la mise en scène, du découpage ou du montage. Le langage cinématographique doit pouvoir exprimer la danse de manière plus subtile qu’un simple enregistrement. Nous attendons presque l’impossible… que mouvement, caméra, lumière, rythme, chorégraphie et montage s’harmonisent pour voler au temps une fraction de sa substance et nous offrir les plus délicates impressions, celles d’un souffle, d’une respiration, d’un rire. La danse contemporaine est un témoignage en mouvement de la réalité, dans une langue que chacun peut saisir. Lorsque je regarde un film de danse, je suis conscient de l’inégalité des conditions de réalisation qui peut exister. Je n’hésite pas à privilégier la qualité du regard du cinéaste à l’esthétique. Certains films sont créés dans des réalités confortables, d’autres pas. Il m’arrive par exemple de préférer un film tourné dans une cuisine à Téhéran dans un contexte vulnérable, avec un matériel modeste et un montage « rude » que de choisir un film grand budget qui soit beau mais vide.

    Votre festival se veut également un lieu de rencontres et d’échanges…

    Mon ambition première est avant tout de créer un moment convivial pour les réalisateurs de films de danse, si peu célébrés dans le monde. Lors du festival, leurs films sont montrés dans les meilleures conditions. Chacun d’eux est invité à présenter son œuvre. On se rencontre, on se parle, on mange ensemble… En cela, la politique du festival entend prolonger celle du Danscentrumjette voulue par Roxane Huilmand qui désirait créer un lieu de rencontre qui ne soit pas focalisé uniquement sur la formation ou la création mais qui puisse accueillir tout un chacun autour d’une multitude d’évènements 1.

    Qu’en est-il ensuite de la partie thématique de votre festival ?

    La programmation des films historiques est le résultat d’un tout autre processus. Focalisés cette année sur les films allemands datant de 1906 à 1992, Stefanie Bodien et moi-même avons commencé par éplucher la littérature de danse allemande avant d’entamer des recherches dans les différentes archives de danse en Allemagne. Nous cherchons à raconter l’histoire de la danse moderne et contemporaine à travers les films existants et parallèlement remettons ces films et spectacles dans leur contexte historique. Depuis l’arrivée d’Isadora Duncan en Europe et sa rencontre avec Rudolf Laban, cet art moderne et personnel s’est étendu partout en Europe. Nous essayons de raconter un peu cette histoire-là.

    L’Allemagne a connu un XXe siècle extrêmement mouvementé. Que percevez-vous de son histoire lors de vos recherches ?

    L’Allemagne a ceci de particulier que son histoire n’est pas marquée par un mouvement de réalisateurs de films de danse (comme par exemple celui des années 80 en Belgique). Très peu de films de danse ont été réalisés au début du XXe siècle. Filmer la danse était très peu en vogue. Généralement, elle était imbriquée dans un film de fiction, dans les films de Fritz Lang par exemple. Pourquoi Eisenstein, amoureux de Valeska Gert, n’a-t-il pas pris sa caméra pour la filmer ? Que dire de toutes ces mises en scène magnifiques qui se passaient à Berlin, Munich et Salzburg ? L’absence de tout désir de filmer la danse en Allemagne m’a étonné. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, moi qui pensais réaliser mes films dans la lignée des films de danse expressionnistes allemands, je me suis rendu compte que ces films de danse n’existaient pas ou plus ! D’Anita Berber, entre autres, il ne demeure que des documents photographiques… L’intérêt porté à la captation de la danse en Allemagne est faible comparé à l’adoration de la danse contemporaine en France par exemple. Je pense qu’en ce qui concerne l’Allemagne, il ne s’agit pas tant de politique culturelle. Selon moi, le néant allemand est symptomatique des dynamiques sociétales de l’époque.

    890 Broadway de Martha Renzi sélectionné au festival international de films de danse en 2014
    La danse en Allemagne était davantage une pratique sociale qu’un art du spectacle ?

    En effet, je crois qu’en Allemagne la danse dépassait le secteur des arts. Elle était partie prenante de la société, chacun voulait danser, bouger, il y avait des écoles de danse partout. Il est clair que l’Allemagne n’a pas connu de cénacle de réalisateurs de danse. La danse moderne allemande avait pour but premier une redéfinition de la situation de la femme, de la situation du corps dans la société. Ce mouvement a créé l’image de l’être humain moderne. Notre manière d’être, l’attention portée au corps, le lien avec la nature, l’image de la femme indépendante, tout cela a été véhiculé notamment grâce à la danse. Nous avons trouvé peu de traces filmées des spectacles de cette période-là. Néanmoins Mary Wigman, NiddyImpekoven, Rudolf von Laban, Kurt Jooss et Leni Riefenstahl se retrouvent tous ensemble en 1925 dans le film « Le chemin de la force et de la beauté » de Nicholas Kaufmann et Wilhelm Prager. Ce film reflète assez fidèlement ce mouvement de libération lors de l’Allemagne de Weimar. Nous avons également trouvé de courts extraits des Pantomimes de Valeska Gert et du Ballet Triadique au Bauhaus d’Oskar Schlemmer. Nous montrerons ces séquences lors du festival.

    Et concernant les films d’après-guerre ?

    Nous poursuivrons avec un film basé sur un spectacle de Kurt Jooss chorégraphié en 1932, mais filmé en 1963 par Truck Branss et interprété entre autres par la jeune Pina Bausch. Nous passerons ensuite à Gret Palucca dans son studio à Dresde en 1957, Harald Kreutzberg et Dore Hoyer avec leurs chorégraphies singulières, quelques films rares des années 60 et un film fou et magnifique datant de 1988, Dans l’exil des tigres saouls, mis en image par Henri Alekan… Mais nous préférons ne pas tout dévoiler maintenant.

    Votre festival s’intitule « L’Art difficile de filmer la danse ». Cette dénomination est-elle révélatrice du travail du réalisateur de film de danse ?

    Tout à fait. En faisant mes films, je me suis rendu compte de la complexité à filmer la danse. Par exemple, dans Hoppla ! les danseurs devaient danser en gardant le même rythme d’un plan à l’autre. Dans la mesure où la musique était jouée en temps réel, c’était extrêmement difficile car les musiciens, eux aussi, ont des changements de rythme. Un film selon moi ne représente qu’un fragment des sentiments vécus lors d’un spectacle, or si l’on veut faire un film où le spectateur expérimente ne fut-ce qu’un peu d’émotion, le rythme est primordial. Le film doit être tourné en « live », ce qui est très compliqué techniquement. Un jour, Jack Lang, qui venait de voir mon film Hoppla ! m’a adressé un télégramme où il me remerciait pour cet « art difficile de filmer la danse ». Nous aimerions partager cet honneur avec les réalisateurs des films de danse que nous montrons, mais aussi mieux faire connaître au public bruxellois ces productions qui sont en quelque sorte l’héritage du langage des films muets du début du XXe siècle.

    Comment envisagez-vous l’avenir du festival ?

    Nous souhaiterions que les films qui passent au festival bénéficient d’une plus grande visibilité grâce à, par exemple, une diffusion à la télévision. Quant au festival, nous voudrions pouvoir inviter tous les réalisateurs des films présentés, ainsi que montrer un spectacle de danse relatif à un des films sélectionnés. Cette année, nous allons également organiser une table ronde, pour confronter nos idées à un niveau plus théorique. Last but not least, nous tenons à garder notre liberté de programmation, en dehors de toute considération commerciale. •

    1 Outre les cours de danse, la vie du centre est régulièrement ponctuée par des évènements tels que par exemple le Jetherstfestival tous les deux ans, le DCJ-Platform qui permet à ceux qui le désirent de montrer leurs créations tous les mois ou encore le JetsummerDanceweeks qui propose des stages intensifs de danse contemporaine pour les professionnels.
    0

    Le Panier est vide