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    NDD # 7? – Bud Blumenthal, l’engagement à l’œuvre

    Propos recueillis par Wilson Le Personnic

    Un pin’s estampillé du logo Extinction Rebellion sur son manteau, un livre de Greta Thunberg entre les mains, Bud Blumenthal nous a donné rendez-vous dans les anciens locaux du Tri postal accolé à la Gare du Midi qu’il occupe depuis deux mois. Accompagné par les passages des trains qui font vibrer les murs de son nouveau studio de danse, le chorégraphe partage ses préoccupations écologiques et confie sa crainte des années à venir.
     
     

    Vos dernières créations Perfectiøn et Leaves of Grass semblent conscientiser aux préoccupations écologiques et sociétales. Comment est née cette prise de conscience écologique ?

    Inconsciemment, peut-être que tout a commencé il y a une dizaine d’années lorsque j’ai attrapé la maladie de Crohn. J’étais à l’Ecole des sables au Sénégal pour un workshop et je me suis brûlé sur un tapis de danse. La blessure s’est infectée et j’ai attrapé le staphylocoque. J’ai dû alors prendre plusieurs antibiotiques sur place et à mon retour en Belgique j’ai dû changer plusieurs fois de traitement pendant plusieurs mois car la situation ne s’améliorait pas. Et finalement, cette prise quotidienne de médicaments a détruit mon microbiome intestinal. On m’a ensuite diagnostiqué la maladie de Crohn mais j’ai alors refusé tout traitement médical. Je me suis tourné vers la médecine traditionnelle et alternative, je faisais du kombucha et du kéfir (des boissons obtenues grâce à une culture symbiotique de bactéries et de levures, ndlr), je faisais fermenter des légumes, etc. Puis finalement, au bout d’un an, alors que cette maladie est normalement considérée comme incurable, tous les symptômes étaient partis. Dans cette perspective de mieux connaître mon alimentation, je me suis intéressé à la manière que nous avions de considérer notre environnement, notre terre, notre monde…

    Quelles conséquences ces nouvelles « considérations » ont-elles eu sur votre travail et votre compagnie ?

    La création de Leaves of Grass a littéralement détruit la compagnie. Nous avions déjà lancé la production et les répétitions lorsque notre dossier de demande de subvention a été rejeté par le conseil de la danse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce fut un véritable choc car c’était la première fois que cette situation arrivait en 30 ans. Nous avons essayé plusieurs fois de le soumettre à nouveau mais toutes nos demandes ont été rejetées. Malgré ces refus, nous avons quand même poursuivi la création du projet. J’avais réellement besoin de faire cette pièce, et je crois qu’au fond de moi je savais que continuer les répétitions allait engendrer l’arrêt de l’activité de la compagnie. Après la tournée, les comptes étaient dans le rouge et les dettes s’étaient accumulées. J’ai alors déposé une demande de subvention afin de pouvoir continuer à payer la location de notre studio à Molenbeek que nous avions depuis 2002. La demande a été accepté mais ça ne s’est pas passé comme prévu… J’ai demandé à notre propriétaire de faire des travaux de rénovation énergétique car le toit du lieu n’était pas isolé et je ne pouvais plus continuer à danser ou donner des cours dans un espace qui ne respectait pas les principes pour lesquels je commençais à m’engager. Mais lui a décidé de nous mettre dehors et de vendre le lieu.

    Comment avez-vous rebondi après la perte de votre espace de travail ?

    Aujourd’hui, je suis temporairement installé ici, au Tri postal, mais je ne sais pas où je serai dans deux ans car le bâtiment va devenir le nouveau siège de la SNCB. D’une certaine manière, la perte de subventions, l’arrêt de la compagnie et l’expulsion de mon studio : tout coïncidait pour que j’arrête la danse et que je me consacre exclusivement à la question écologique. Pendant la création de Leaves of Grass j’ai aussi rejoint le PTB (Parti du travail de Belgique), parti socialiste et marxiste ; j’aurais pu rejoindre le parti écologiste mais ce ne sont que des entrepreneurs et des capitalistes, alors que le PTB questionne et critique le capitalisme. Et j’ai ensuite intégré par la suite le mouvement écologiste international Extinction Rebellion en janvier 2019, quelques mois après avoir participé avec mes enfants à la grande marche pour le climat à Bruxelles. J’ai pris part à plusieurs actions « de désobéissance civile », dont l’occupation de la place Royale en octobre dernier et de la Grand-Place de Bruxelles en décembre. Depuis un an maintenant, je vis grâce aux allocations de chômage et je me consacre uniquement à ce mouvement et à la réfection de ce lieu que j’occupe provisoirement.

    Constatez-vous des changements dans le milieu de la danse en Belgique ?

    Je dois avouer que depuis que j’ai perdu ma compagnie, j’ai un peu tourné le dos au milieu de la danse. Je crois que j’avais besoin de me détacher de ce monde pour avancer et commencer à faire autre chose. Mais je crois que c’est dans l’air. Ça arrive, mais lentement. Le CIFAS (Centre international de Formation en Arts du Spectacle) a par exemple organisé l’automne dernier une semaine de colloques sur l’activisme intitulé « Imaginaires de l’écologie. Art et activisme en période d’agitation climatique ». Je pense réellement que c’est aux artistes d’initier ces mouvements. J’ai beaucoup d’estime pour Jérôme Bel par exemple, qui a pris la décision de ne plus voyager pour jouer ses spectacles. Ça m’a réellement fait réfléchir et lorsque je suis parti aux Etats-Unis avec mes deux enfants l’année dernière, j’étais extrêmement préoccupé par le bilan carbone de ce voyage. J’ai trouvé sur internet un site qui calculait la compensation carbone en nombre d’arbres à planter. À nous trois, ce rééquilibre s’élevait à 40 arbres. Sur Facebook j’ai trouvé une association qui cherchait des bénévoles pour reboiser des terrains. Nous avons planté des milliers d’arbres et ça m’a fait extrêmement de bien… Lorsque c’est nécessaire, les artistes sont capables de créer des réseaux et de développer des outils communs. Si nous pouvions par exemple acheter tous ensemble un morceau de terre, sur laquelle on pourrait planter des arbres à chaque tournée, peut être que chacun se rendrait compte de l’empreinte carbone de ses créations sur la Terre. C’est important de repenser les déplacements et je crois que l’artiste n’est pas enraciné dans le monde physique tant qu’il ne prend pas en main « physiquement » les conséquences de son impact réel sur le monde avec son art. Sur le même modèle, les théâtres pourraient aussi imaginer un éco-billet et planter un arbre pour chaque spectatrice et spectateur qui se déplace pour voir un spectacle.

    Entretien réalisé en janvier 2020
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