Bookshop
  • Français
  • English
  • Nouvelles de danse

    NDD#89 – Plongée en enfance. Du regard à la pratique

    © Pascale Tardif

    Alexia Psarolis

    C’est une certitude : l’été sera mouvementé ! Si beaucoup d’adultes trépignent à l’approche des Jeux olympiques, les enfants ne sont pas en reste. Deux événements qui leur sont spécialement dédiés méritent un coup de projecteur : la parution d’un livre aux éditions du Centre national de la danse et une exposition géante pour les petits, alliant jeu, pratique corporelle et lien social.

    La récente parution du livre Cette danse, quel spectacle ! aux éditions du Centre national de la danse est suivie de près par une exposition grand format intitulée « Danser », qui va se déployer à partir du mois de juillet à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris. Un livre et une exposition à destination des enfants, soit un double événement pour remettre la danse et sa pratique au cœur de leur vie, déconnexion garantie. Ici, pas de grands discours savants mais des invitations à mettre son regard et son corps en mouvement, avec une volonté affirmée de déconstruire les stéréotypes qui collent (encore) à la peau. Une façon de déjouer notre sort d’ « humanité assise » selon les termes du sociologue du corps David Le Breton et d’ « ouvrir sensoriellement le monde aux enfants 1. »

    La danse au pluriel

    Comment regarder la danse ? Faut-il comprendre pour apprécier ? La danse s’écrit-elle au pluriel ? Autant de questions que pose le deuxième volume de la collection jeunesse des éditions du CND 2, co-écrit par la danseuse-chorégraphe Laurence Pagès et sa sœur Sylviane Pagès, chercheuse en danse à l’université de Paris 8. Cette danse, quel spectacle ! s’attache à parler de la pluralité des danses, de façon accessible et illustrée de nombreuses photographies, de documents d’archives et de codes QR donnant accès à des vidéos de spectacles. « Les photographies retenues ne sont pas juste illustratives, mais résonnent avec le texte », expliquent les deux auteures, qui ont souhaité défendre une diversité esthétique et de périodes. Puisée dans le fonds d’archives du Centre national de la danse, et en lien avec la plateforme numeridanse.tv (via les codes QR), l’iconographie est également sous-tendue par la volonté de déconstruire les stéréotypes qui collent encore à l’art chorégraphique, en montrant une diversité de corps et de genres.

    Parler aux enfants

    Richement documenté, l’ouvrage privilégie une adresse directe aux lecteurs. « Dès le début de cette aventure éditoriale, notre projet a consisté à trouver une adresse exigeante pour les ados, à ne rien transiger de notre ambition intellectuelle et artistique dans ce texte », affirment les deux auteures. « Nous faisons le pari de l’intelligence de nos lecteurs et de leurs capacités à comprendre des éléments complexes… à condition, bien sûr, de trouver les formes qui permettent de rendre compréhensible cette complexité. » Pour donner à lire toutes les informations textuelles et visuelles, les auteures ont privilégié des textes courts de statuts différents, mêlant propositions ludiques, citations et petites notices explicatives ou biographiques. Une information fragmentée, des phrases brèves, un vocabulaire qui se spécialise au cours des pages, des renvois à des notices éclairant certains passages du texte sont donc quelques-unes des astuces employées pour se mettre à hauteur d’enfants ou d’adolescents, dans une mise en pages dynamique et colorée.

    Jouer avec son regard

    Le jeu, mode d’appréhension privilégié des enfants, se situe au cœur de la démarche. Après un premier livre sur la pratique de la danse, ce deuxième ouvrage propose de nombreuses entrées afin de leur permettre d’affiner le regard sur toutes les danses, en fonction du contexte de réception : la salle de spectacle, la rue, le cinéma, Internet et les réseaux sociaux… Pour apporter leur éclairage, Laurence et Sylviane Pagès adoptent la démarche de l’entonnoir : partir d’un ensemble de danses, de situations quotidiennes ou banales, puis entrer dans les théâtres pour aller à la rencontre d’une œuvre chorégraphique…, une rencontre qui peut être réussie ou non. Amusement, étonnement ou même ennui, tout est permis ! « Toutes les émotions sont légitimes, rappelle Laurence Pagès. On peut concevoir le spectacle comme un jeu ; si on s’ennuie, on porte son regard sur d’autres choses, sur les détails d’un mouvement… L’important n’est pas de comprendre. » Une notice rappelle en marge l’étymologie du mot « émouvoir », du latin emovere, « bouger », « remuer ». Les émotions sont elles-mêmes des mouvements de l’âme.

    Pratiquer dans la cité…

    La place du corps dans la cité est une réflexion qui anime Laurence Pagès depuis plusieurs années. Appréhendant le mouvement dans des contextes variés, elle a publié, en collaboration avec Pascale Tardif, Danser avec les œuvres du musée (2020) et Danser avec les albums jeunesse (2015), aux éditions Canopé. « Dans le contexte scolaire, il est évident que c’est en tissant des liens entre danse et littérature, avec les mathématiques, avec les albums jeunesse que les choses prennent sens », souligne Laurence. « On peut entrer plus finement dans un état de danse lorsque cela s’inscrit dans un projet global. » Milieu scolaire, hospitalier et carcéral, autant de lieux d’enfermement des corps où la danseuse-chorégraphe a mené des ateliers. Libérer les corps, un enjeu politique ? « Cela fait partie de mon questionnement, de ma place d’artiste dans le monde, agir à la fois sur les corps et déjouer un peu le système…, ce qui est un peu moins vrai pour le milieu carcéral. »

    … Expérimenter à la Cité

    Dans le prolongement de leur livre, les deux sœurs collaborent à l’exposition à venir, « Danser », à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. Sylviane Pagès fait partie du comité scientifique aux côtés d’autres chercheurs, tandis que Laurence Pagès travaille à une kinésphère telle que Laban l’avait conçue 3, mais à échelle d’enfant. Le principe ? « Mettre les petits en mouvement, leur faire prendre conscience des directions et du volume autour d’eux à l’intérieur de cette kinésphère. »

    « Montrer et expérimenter les bienfaits de ce que peut apporter la danse dans un rapport enfant-adulte », tel est l’enjeu de cette exposition familiale destinée aux 4-8 ans, dévoile Sophie Manoff, muséographe à la Cité des sciences et de l’industrie, soulignant sa visée éducative. La structuration de l’exposition a été pensée autour de quatre verbes d’action, quatre gestes chorégraphiques 4, « les plus immédiats pour les enfants et au cœur du fondement de la danse » : « marcher », « tourner », « sauter », « se rencontrer », auxquels s’ajoute, en fin de parcours, « se poser ». Chaque dispositif collectif est confié à un chorégraphe : Anne Nguyen (tourner), Vincent Delétang (sauter), Virginie Quigneaux (se rencontrer) et le collectif de vidéastes Claire B & Adrien M. (marcher). Pour chaque entité, des « mash-ups » seront projetés, une succession d’extraits-vidéos de 3 min, présentant la danse dans sa diversité, à travers des films de fiction, d’animation, de comédies musicales…, avec une attention accrue sur la représentation des corps et de leur diversité. Toutes les demi-heures, les enfants et leurs accompagnateurs seront invités à un grand bal collectif pour découvrir trois danses de bal de trois époques différentes : le branle, une danse de la Renaissance, issue de danses du Moyen Âge ; la valse musette, dans la tradition des guinguettes de la fin du XIXe-début du XXe siècle ; enfin, le disco des années 70, dans une ambiance clubbing et boule à facettes. Quels que soient le sens et le parcours choisis, tous les chemins mènent à l’ultime étape : « se poser », un moment pour reprendre son souffle, où les enfants, feutres en main, apporteront leur touche à une fresque géante dans le but de représenter les mouvements de leur corps… ou choisiront de se lover dans un coin lecture, en compagnie d’albums autour de la danse ou d’un cahier d’activités pour prolonger leur expérience.

    « Participative et joyeuse », c’est la promesse de cette exposition, conçue comme « une parenthèse enchantée », selon les commissaires de l’exposition Sophie Manoff et Laurence Caunézil. Avec ce crédo : tout le monde peut danser. Une immersion pour le petit visiteur, acteur et/ou spectateur, libre d’interpréter les activités comme il ou elle le désire, en fonction de son âge, de son humeur, de ses capacités physiques… Une proposition d’envergure pour les minis qui transfigurera la Cité en un terrain exploratoire et ludique, taille XL. Des saveurs de danse comme une invitation à goûter le monde, autrement. •

    Danser, exposition du 2 juillet 2024 à mars 2026, Cité des sciences et de l’industrie, à Paris.
    Laurence et Sylviane Pagès, Cette danse, quel spectacle !, Centre national de la danse, collection jeunesse, 2023.
    5