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    L’Ideokinesis et la conscience de l’équilibre – Entretien avec Pamela Matt

    Par Cathy De Plée

     

    Pamela Matt est une danseuse américaine (Illinois) et pédagogue en Ideokinesis. Elève de Barbara Clark – une des assistantes les plus créatives de Mabel Todd dans les années 1950 – elle lui a consacré un livre intitulé A Kinesthetic Legacy. The life and work of Barbara Clark (1993). Elle est par ailleurs éditrice du site internet très complet dédié à l’Ideokinesis. 
    Comment définiriez-vous l’Ideokinesis en quelques mots ?

    L’Ideokinesis est le nom donné par le Dr Lulu Sweigard à l’approche éducative inventée par Mabel Todd au début du XXe siècle. Comme Barbara Clark, Lulu Sweigard était un des nombreux professeurs formés par M. Todd. Sweigard a sensiblement simplifié l’approche et l’a étudiée d’un point de vue scientifique. Le terme Ideokinesis est formé sur les racines grecques Ideo (Image) et Kine (mouvement). Dans son acception actuelle, elle a deux composantes : l’anatomie par l’expérience et la facilitation ideokinétique (voir ci-après).

    Quelles nouveautés proposait l’enseignement de Todd ?

    Todd a découvert qu’en apprenant aux gens à être plus conscients de leur anatomie (l’anatomie par l’expérience) ils amélioraient leur conscience kinesthésique et parvenaient à bouger plus confortablement et efficacement. Elle enseignait aussi à ses étudiants une technique spécifique consistant à travailler avec des images. Celles-ci devaient les aider à prendre conscience des mauvaises habitudes posturales et à améliorer les aspects fondamentaux de leur coordination (facilitation ideokinétique). L’approche de Todd puisait ses sources dans la kinésiologie qui est habituellement orientée vers le cerveau gauche. Elle a simplifié et transposé ces informations en images qui, elles peuvent être traitées par le cerveau droit et expérimentées au niveau somatique. Cette approche particulière de l’ « éducation physique » était complètement neuve et d’ailleurs pas très bien comprise dans son milieu. Ce n’est que peu à peu que l’on a réalisé le génie de son hypothèse de travail.

    Comment avez-vous connu cette méthode ?

    Mes premiers contacts avec l’Ideokinesis remontent à la fin des années 60 lorsque j’étais bachelière en danse à l’Université de l’Illinois (Urbana). Là j’ai eu la chance de participer à un petit groupe de travail dirigé entre autre par Joan Skinner qui développait une nouvelle technique d’improvisation dansée basée sur les images du corps. Lorsque Joan est partie pour l’Université de Washington, je l’y ai suivie et ai obtenu un diplôme d’études interdisciplinaires sous sa guidance. Bien que formée surtout à la technique Alexander elle m’a fait découvrir les travaux de Mabel Todd et Lulu Sweigard qui contenaient aussi des informations importantes sur les images du corps. C’est en retournant ensuite à l’Université de l’Illinois pour poursuivre mes études en Education physique que j’ai rencontré Barbara Clark, une des élèves et assistantes les plus créatives de Todd. Avec un collègue nous l’avons convaincue de déménager de New-York en Illinois pour l’accompagner dans l’écriture de son troisième manuel intitulé « Body Proportion Needs Depth ». Sept ans de leçons hebdomadaires et l’accompagnement de son travail d’écriture ont fondé mes connaissances personnelles de l’Ideokinesis.

    Qu’offre l’Ideokinesis à un danseur ou un chorégraphe ?

    L’anatomie expérientielle permet aux danseurs de développer leur conscience kinesthésique. Savoir comment se libérer de tensions musculaires inutiles et prendre conscience du lieu d’équilibre de leurs articulations les aide à éviter les blessures et à travailler avec sensibilité et efficacité pour se rétablir s’ils se blessent. Si un mauvais alignement ralentit leur progrès en danse, la technique de facilitation idéokinétique les aide à identifier leurs mauvaises habitudes, à explorer des alternatives à leur kinesthésie habituelle et à s’améliorer de manière substentielle.

    Les sensations kinesthésiques développées grâce à l’étude de l’Ideokinesis augmentent la conscience du chorégraphe envers le corps et ouvre davantage sa sensibilité aux nuances et aux subtilités de l’expression en mouvement. Le travail avec les images enseigné par l’Ideokinesis peut aussi aider le chorégraphe à dépasser ses préférences et habitudes personnelles.

    Quelles sont les ressemblances et les différences avec les autres approches somatiques ?

    La plupart des approches somatiques utilisent les images comme support de communication. L’Ideokinesis par contre est la seule méthode qui place la contemplation des images au cœur du processus éducatif.

    On qualifie parfois Mabel Todd et Barbara Clark de poètes pour leur manière de s’exprimer. Par ailleurs le travail sur l’alignement anatomique peut faire penser à certaines recherches des peintres de la Renaissance. Quelle est la place de l’Esthétique dans l’Ideokinesis ?

    Barbara Clark favorisait toujours le point de vue esthétique – plutôt que le discursif – lorsqu’elle créait ses images visuelles. Pour que les images prennent vie dans la conscience kinesthésique de l’étudiant, elle savait qu’elles devaient être simples et directes. Elle avait observé que certains professeurs formés par Todd étaient moins efficaces parce que leurs images étaient trop personnelles, trop familières, trop compliquées ou même parfois trop loufoques, ce qui les rendait difficiles à intégrer par les étudiants. Elle voulait que ses images soient plus neutres, plus abstraites, plus élégantes et donc plus appropriées à une contemplation soutenue. Ses archives contiennent de nombreux petits morceaux de papier qui montrent ses premières esquisses d’images simples dessinées sur le vif. C’était la première étape de son processus créatif. Lorsqu’elle affinait le dessin d’une image, elle consultait toujours son livre d’anatomie pour être sûre que les proportions du corps soient correctes. Elle trouvait une erreur de styliser ou embellir ses dessins car c’était un risque d’en détourner leur effet kinesthésique. Un autre aspect de son processus créatif consistait à simplifier l’image et à la rendre plus abstraite. Elle développait aussi par écrit de nombreuses variations verbales de ses images pour en trouver la meilleure version, celle que ses étudiants pouvaient s’approprier plus facilement. Elle était enchantée lorsqu’elle trouvait une phrase accrocheuse, ou même des rimes pour accompagner une image. Elle savait de sa longue expérience avec les enfants que des formules bien faites aident les étudiants à retenir les images et à en retirer du plaisir.

    Je n’ai par contre pas étudié avec Mabel Todd mais ma connaissance de ses travaux écrits et les histoires de Barbara Clark à son sujet m’ont amenée à conclure qu’elle travaillait à la fois avec les aspects poétiques et discursifs de l’éventail des méthodes éducatives. Elle a développé des explications analytiques minutieuses de ses principes pour asseoir la crédibilité de son travail dans le monde académique mais elle a aussi appris, en créant ses images, à continuellement renouveler sa pratique d’enseignement. Je ne pense pas cependant que M.Todd ait été le poète qu’a été B. Clark. Elle avait beaucoup trop de choses à accomplir, comme l’écriture de The Thinking Bodypar exemple. Mais assurément elle appréciait les talents artistiques dans l’enseignement comme le montre son soutien enthousiaste de l’approche résolument poétique de B. Clark.

    Lorsque vous enseignez, quelles sont les principales difficultés rencontrées par vos étudiants ? Cette méthode convient-elle à tout le monde ?  

    Je pense que le travail basé sur l’anatomie expérientielle est tout à fait fascinant et pratiquement accessible à tout le monde. Pour donner un exemple, ça peut être exaltant de découvrir l’emplacement de l’articulation du fémur et ensuite de bouger avec une nouvelle compréhension de la situation de la flexion fémorale.

    Le travail de facilitation ideokinétique peut être plus difficile. Mabel Todd a découvert que de mauvaises habitudes neuromusculaires peuvent se transformer en pensantà une image et non pas en faisantquelque chose. Ceci est le postulat central de la facilitation ideokinétique. Certains étudiants comprennent les différences entre les deux processus de pensée immédiatement, mais pour d’autres, faire la distinction est plus difficile. Dans notre culture occidentale, on nous apprend (et ceci est d’autant plus vrai chez les danseurs) que pour rétablir notre corps, nous devons FAIRE quelque chose. Le problème est qu’en faisant même le plus subtil ajustement musculaire en réponse à notre interprétation d’une image, nous allons activer les mauvaises habitudes neuromusculaires que nous avons déjà et nous priver de l’opportunité d’en découvrir d’autres.

    Lorsque la facilitation ideokinétique est enseignée en individuel par un professeur expérimenté, la tendance des étudiants à ajuster musculairement leur corps en réponse à leur interprétation consciente d’une image est flagrante. Lorsque le professeur sent sous ses doigts que l’étudiant « fait » l’image, il peut lui demander d’arrêter d’essayer et de juste penser à l’image et à la laisser arriver. Dans un contexte de groupe, ce genre de feedback immédiat n’est pas faisable. A la place, les étudiants doivent apprendre à observer leur propre schéma de pensée pour apprendre à maîtriser la discipline ideokinétique, un peu comme on le fait dans la méditation. Au fur et à mesure, la plupart des étudiants gagnent en confiance et acceptent que le cerveau découvrira par lui-même un schéma plus efficace de coordination en réponse à la contemplation d’une image qui indique les directions et les emplacements. André Bernard disait « Ne faites pas l’image, laissez l’image vous faire ». Cette phrase évoque cette dimension particulière de l’Ideokinesis.

    Quelle est la place de l’Ideokinesis dans l’enseignement de la danse aux Etats-Unis ? Est-elle acceptée et reconnue partout ?

    Oui, certainement. Lorsque Todd a débuté son approche dans les années 1910 et 1920, elle n’était pas bien comprise dans le monde académique de l’éducation physique. Le travail de Todd était par contre intéressant pour les danseurs auxquels elle donnait d’ailleurs des cours privés. Le fait d’utiliser l’imagination pour améliorer le mouvement était pour eux une démarche familière et correspondait bien à leur manière de penser. L’introduction des cours de Lulu Sweigard dans le cursus du prestigieux département de danse de la Julliard School en 1956 a montré la considération dont jouissait l’approche auprès de la communauté de danse universitaire au milieu du XXe siècle. Je pense qu’actuellement, l’Ideokinesis est très bien acceptée par les départements de danse de l’enseignement supérieur aux Etats-Unis comme l’une des nombreuses approches somatiques qui accroît la créativité des danseurs.

    Personnellement, qu’avez-vous appris de cette méthode ?

    Je suis impliquée dans cette approche depuis plus de quarante ans et les résultats de mon processus d’apprentissage ont évolué avec le temps. Mes premiers contacts avec la méthode, en tant que danseuse, ont formé mon sens kinesthésique. Ecrire le livre A Kinesthetic Legacya approfondi ma connaissance du cadre conceptuel de la méthode et m’a donné confiance dans mon aptitude à l’enseigner. Le fait d’enseigner le travail est un grand privilège car guider les autres stimule la créativité du professeur dans la découverte et l’invention des images. Je me réjouis maintenant à l’idée de former des professeurs et je sais que cette nouvelle direction va m’ouvrir à de nouvelles dimensions. Mais toujours l’on revient aux bases, à la conscience délicieusement simple de l’équilibre – physique, psychologique et spirituel. Et je suis particulièrement reconnaissante au fait que l’Ideokinesis m’a donné les moyens d’accéder à cette conscience de l’équilibre dans toutes les dimensions de ma vie.

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