NDD#82 – Hommage à Micha van Hoecke
Par Dominique Genevois
È morto Micha van Hoecke, coreografo e regista : la danza e l’italia come passioni
Qui est Micha van Hoecke, regretté par Anna Bandettini spécialiste des pages « Spettacoli » du quotidien italien la Repubblica, ce 7 août 2021 ? Qui se souvient de lui à Bruxelles ?
Un danseur ? Un interprète formidable des œuvres de Béjart ? Un chorégraphe, un maître de ballet, un metteur en scène, un directeur de compagnie ou d’école de danse, un orfèvre du théâtre dansé, un poète du théâtre d’images, un artiste complet, un érudit visionnaire ?
Dans le catalogue des personnalités de la « Comune dei Rosighano Marittimo », ville de bord de mer en Toscane où le Belge vivait depuis une quarantaine d’années, la biographie de van Hoecke commence par quelques phrases personnelles.
« Je ne voulais pas être danseur, je pensais que c’était un métier pour femmes. […] Moi qui voulait être un acteur, qui me sentait très russe à l’intérieur, capable d’exprimer des choses très douces et profondes avec des mots, j’ai réalisé que la danse allait bien au delà des mots ».
Dans son article madame Bandettini rappelle leurs anciennes conversations « Ho vissuto in una famiglia di artisti, tra musica e canto, pittura e danza … » « j’ai vécu dans une famille d’artistes, entre musique et chant, peinture et danse, j’ai été entouré de nombreux maitres et esthètes que j’ai connus depuis mon plus jeune âge. » « des spectacles comme Baudelaire, Nijinski […] et bien d’autres de Béjart m’ont fait découvrir une vision artistique inédite. »
Le texte de Germinal Casado (le créateur du rôle de l’Èlu dans le Sacre du printemps de Béjart), retrouvé dans le chapitre qu’il consacre à ses camarades du Ballet du XXe siècle dans son ouvrage Germinal ou le sacre du printemps paru en 2007, décrit ainsi son camarade :
« Micha était un jeune collègue au Ballet du XXe siècle. Ce garçon, fruit d’un couple flamand–russe, a recueilli à lui seul toute la folie et l’exubérance de ces deux peuples. Malgré un physique ingrat, il a réussi à devenir un personnage parmi les plus attachants du ballet. Très tôt il commença une talentueuse carrière de chorégraphe, carrière qu’il poursuivit à toute heure, en Italie. Un de ses premiers ballets, le Journal d’un fou, inspiré, je crois, de Gogol, était d’une grande intensité dramatique, étonnante pour une première chorégraphie. Mais ce n’est pas surprenant, connaissant son acuité d’esprit. »
Casado n’est pas toujours tendre et admiratif lorsqu’il évoque ses compagnons des années 1960. À propos de Van Hoecke et, bien qu’il en égratigne le physique – Micha, certes, ne détenait pas les canons attribués à une certaine danse académique mais était plaisant – il est bienveillant.
Le beau portrait qu’Alain Louafi (mudriste de la première promotion, danseur auprès de van Hoecke, Béjart et Stockhausen) propose sur le site du Ballet Béjart Lausanne après la disparition de Micha, montre mieux la sensibilité de l’homme qu’était van Hoecke.
En voici un extrait : « Nous regretterons longtemps cet artiste polyvalent et prolifique, doté d’une personnalité charismatique, d’un caractère généreux et bienveillant. C’était un être possédant une grande âme et une culture raffinée. Il avait un sens profond du théâtre. Ses créations dégageaient toujours un parfum de poésie : beauté, délicatesse, grandes émotions et humour étaient toujours au rendez –vous. Il avait également un grand sens de la dérision, de l’autodérision car, s’il faisait « les choses » très sérieusement, c’était sans se prendre au sérieux. »
Dans ses œuvres écrites, telles Un instant dans la vie d’autrui ou La vie de qui, Béjart ne présente pas van Hoecke mais le cite fréquemment montrant ainsi la camaraderie et la complicité qu’ils partagent aussi hors des studios : « Nous partons Donn, Micha et moi… », « Mon rôle fut repris par Patrick Belda, Micha, Donn… », « Tous les amis de Patrick étaient en coulisses Micha, Huismann, Bari, François, les machinistes… »
En effet van Hoecke est une figure importante de l’œuvre béjartienne et reste fidèle longtemps au « patron » du Ballet du XXe siècle. Tout jeune il est remarqué par Béjart au studio Wacker à Paris et est pressenti pour un rôle. Il a déjà joué dans plusieurs films. Il est engagé en 1962 au Ballet du XXe siècle après avoir débuté réellement sa carrière de danseur auprès de Roland Petit.
Van Hoecke participe pendant 20 ans à toutes les créations du Ballet du XXe siècle, en est un talentueux interprète, présente de belles pièces lors des soirées jeunes chorégraphes instituées par Béjart à l’ex-« petite salle de la Monnaie », reprend magistralement les rôles que le chorégraphe ne souhaite plus interpréter lui même, se voit confier, en 1978, la direction de l’école Mudra que le chorégraphe a créée en 72.
Micha, l’alter ego joyeux d’un Béjart transposé, l’un solaire l’autre jupitérien.
Van Hoecke, parallèlement à sa carrière de danseur, fonde deux compagnies : Chandra, puis l’Ensemble. Chorégraphe fécond (plus de 150 œuvres), inventeur polyvalent, homme érudit il collabore avec des nombreuses institutions en Belgique, en Italie et dans toute l’Europe : Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, Scala de Milan, teatro Verdi de Pise, San Carlo à Napoli, compagnie Victor Ullate à Madrid, Opéra de Paris, festival de Ravenne, teatro Massimo de Palerme… Il crée pour de grands artistes tels Carla Fracci, Luciana Savignano, Alessandra Ferri, Liliana Cavani, Ute Lemper, Cristina Muti, Jean Babilée, Julio Bocca ou Linsay Kemp.
Me souvenir de Micha ? Alors affluent des images fortes, celles d’un danseur béjartien hors du commun, vif, flexible, décontracté, virtuose, musical comme le furent Babilée ou Fred Astaire. Les rôles qu’il transcendait pourraient aussi décrire l’homme qu’était van Hoecke. Non seulement il habitait les personnages mais eux reflétaient sa personnalité:
Petrouchka, dont il possédait la poésie mélancolique, dans Nijinski clown de Dieu,
Mercutio, dont il avait l’espièglerie parfois grivoise, dans Roméo et Juliette,
Méphisto, qu’il rendait félin, rôle partagé avec Béjart lui même dans Notre Faust,
Le Voyageur, pèlerin tourmenté dans Golestan, autre rôle partagé avec le grand chorégraphe,
L’Homme, foudroyé face à sa solitude, dans Symphonie pour un homme seul,
L’Offenbach, vif et facétieux de Gaité parisienne.
Et puis d’autres images surgissent, celles de pièces vues en Belgique, chorégraphiques multiculturelles et polymorphes de van Hoecke :
Discours ou la vallée des songes au festival de Carpentras, avec le groupe Chandra (1973)
Le journal de Samuel Pepys, sa première création pour l’école Mudra à laquelle je participais (1974)
Sequenza III, duo virtuose et intimiste, avec Maguy Marin sur la partition de Berio (1974)
Monsieur, monsieur dans les caves de Schaerbeek avec l’Ensemble (1981)
Ne m’ont pas quittée non plus les souvenirs des moments partagés joyeusement comme, lors des fatigantes tournée en bus, les blagues et pitreries de Micha qui abrégeaient le temps de voyage, ses conseils généreux lorsque j’étais jeune danseuse, sa complicité avec Schirren sur scène ou autour d’un bon repas, son attachement pour le groupe de recherche qu’il avait fondé, ses coups de gueule alors qu’il ne parvenait pas à trouver le final de sa nouvelle pièce, les échanges passionnés avec Weyergans, les nuits passées à jouer au poker avec Donn, Parès et d’autres qui y risquaient leur salaire, les conversations profondes ou légères où il passait sans problème de l’espagnol au russe, de l’italien au français ou au bruxellois. Alors toutes les Marolles étaient conviées !
Je ne me résous ni à écrire une biographie exhaustive ni à décliner la liste des œuvres, des récompenses et des fonctions de Micha van Hoecke qu’on peut trouver facilement dans des ouvrages ou sur des sites, mais voici quelques dates :
1944 van Hoecke nait à Bruxelles dans une famille d’artistes, maman russe, chanteuse et tante maternelle danseuse, père flamand, peintre, musicien et décorateur.
Installation de la famille en Espagne, puis à Paris où il étudie la danse classique avec Preobrajenska, Egorova, madame Nora.
1957 Joue dans plusieurs films puis a un rôle dans une pièce de Béjart
1960/1961 Est danseur chez Roland Petit, Paris
Période belge :
1962/1981 Est danseur et chorégraphe au Ballet du XXe siècle
1972 Chorégraphie Les Mariés de la tour Eiffel au Cirque Royal de Bruxelles, création pour le ballet du XXe siècle (avec Fernand Schirren dans le rôle du Pianiste)
1972 Antigone au Festival d’Avignon, création pour la Compagnie Béranger et des élèves de Mudra
1973 Catulli carmina création pour les élèves de Mudra
1973 Crée le groupe de recherche Chandra, avec d’ex mudristes tels Alain Louafi, Maguy Marin, Pierre Droulers.
1978 Est nommé par Béjart directeur de l’école Mudra
1980 Chorégraphie quelques scènes du film Les Uns et des autres de Claude Lelouch
1981 Crée le Ballet Théâtre L’Ensemble en résidence à Mudra, épaulé par Barbara Hassel-Szternfeld
1982 Favorise l’installation de L’Ensemble, formé de mudristes, à la maison de la culture de Tournai, épaulé par Arthur Haulot
Puis vint la période italienne :
1984 Installation de l’Ensemble au Centre Wilson à Rome
1984 Participation l’Ensemble au festival de Castiglioncello
1986 Installation de l’Ensemble à Castiglioncello
1986 Création de Prospective Nevsky pour L’Ensemble, en tournée en Belgique
1988 Création de Guitare, autre œuvre autobiographique
1989 Mise en scène des vêpres siciliennes, à la Scala de Milan (Direction Riccardo Muti avec Carla Fracci)
1990 Mise en scène Des Troyens, à l’Opéra de Paris
1991 Codirection du festival de Ravenne
1999 Direction de la danse du Teatro Massimo de Palerme
2010/ 2015 Direction du ballet dell ‘Opera di Roma
2018 Chorégraphie Pink Floyd, pour le ballet du teatro Massimo de Palerme, couronné par le prix de la critique italienne.
Durant toutes les années où il collabore avec de grandes institutions Micha, infatigable, continue le travail de recherche avec le groupe L’Ensemble, secondé par sa compagne la danseuse Miki Matsue.
Il meurt d’une tumeur, le 7 août 2021, à Castiglioncello ville d’Italie qu’il aime tant.
Je l’avais rencontré pour la dernière fois à l’Opéra de Rome en avril 2011. En assistant à une répétition de Gaité parisienne que la Fondation Béjart Lausanne lui avait confié, je fus émue de voir à l’œuvre le directeur de compagnie, généreux avec un coupe de jeunes danseurs pas encore solistes, qu’il préparait pour reprendre des rôles importants. Le lendemain, dans le même studio, je fus enthousiasmée par son dynamisme et sa virtuosité, à 67 ans, alors qu’il réglait les danses de sa création en cours. Puis c’est avec moi qu’il fut généreux acceptant, malgré la surcharge de travail, de passer de longs moments de conversation, enrichissant mes recherches alors que je reconstituais les archives et rassemblais des témoignages pour étayer mes propos dans l’ouvrage que j’écrivais sur l’école Mudra. Bien entendu j’ai eu le droit à quelques unes de ses farces et je garde de lui toutes ces images bienveillantes et chaleureuses.
Par Barbara Hassel-Szternfeld
J’ai fait la connaissance de Micha van Hoecke en 1979, quand il fut nommé directeur artistique de Mudra par Maurice Béjart. J’en assurais à l’époque la direction administrative.
À presque 36 ans, Micha, magnifique danseur et chorégraphe depuis de longues années, était un directeur artistique idéal pour l’école.
Plus tard, en 1982, nous avons créé une petite compagnie de danse, L’Ensemble, avec une dizaine d’étudiants sortis de Mudra.
Tous ceux qui ont connu Micha se souviennent de son charisme, de son humour, qui se reflétait également souvent dans ses chorégraphies, de ses passions, entre autres pour la littérature russe.
Micha était très apprécié dans le monde de la danse. Il avait également beaucoup d’amis dans le domaine du théâtre, de l’opéra.
Je me souviens qu’à la première de « L’Anima », créée pour L’Ensemble en 1983, Robert Hossein a fait le déplacement de Paris pour assister à la représentation à Bruxelles.
Le départ de Micha à seulement 77 ans laisse un grand vide dans le monde de la danse.