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  • Nouvelles de danse

    NDD#73 Alfons Goris : un professeur hors du commun

    Jeu théâtral, Jean Gaudin, Igor Ivanoff, Yann Le Gac, 1974 © Quinny Sacks

    Par Dominique Genevois

    Alfons Goris, professeur de théâtre à Mudra, s’en est allé le 18 avril 2018 en début de soirée… juste avant le lever de rideau au théâtre. Goris, ce généreux bonhomme, un des derniers grands créateurs de l’école Mudra. Béjart, Schirren, Parés, Sausin… Et maintenant, Alfons Goris s’éteignait à son tour. Symboliquement Mudra continuait de disparaître.

    « Son cœur était défaillant », me précisait son fils Alberic. Et il me demanda « de prévenir tous ceux des anciens de Mudra qui lui tenaient tant à cœur ». Oui, si généreux que Fons avait usé son cœur en nous portant, en nous poussant à nous dépasser.

    Le goût pour les arts de la scène d’Alfons Goris est né durant ses études secondaires. Il était passionné par la culture, l’élocution et le théâtre. Sous la férule de son professeur Ast Fonteyne, il avait joué le rôle principal dans l’Œdipe de Sophocle. Il obtint une licence en Philologie et lettres germaniques dans la classe de Herman Uyttersprot, lequel pressentait son don pour le théâtre. Don confirmé lorsque Goris se présenta au concours d’entrée de l’école flamande de formation théâtrale, le Studio Herman Teirlinck à Anvers. Là se forment depuis 1946 des acteurs, des chanteurs, des artistes de cabaret ou de télévision. Diplômé en 1958, Alfons Goris y devint à son tour professeur et metteur en scène. Puis, en 1966, il fut nommé directeur et réforma le cursus de l’institut, qui reçut alors un statut officiel nommé « Hoger Instituut voor Dramatische Kunst ». Il rencontra Béjart à Bruxelles lors de l’Exposition universelle de 58. En 1970, ce dernier lui proposa de faire partie du comité de préfiguration de l’école Mudra. Tout naturellement, Goris rejoignit l’équipe pédagogique comme professeur de « jeu théâtral » dès la première année tout en restant actif au Studio Herman Teirlinck.

    la méthode Goris

    Il était à Mudra pour nous enseigner le théâtre, mais de quoi étaient faites ses classes ? Comment se déroulaient ces rencontres régulières ? Pas de texte avant la troisième année d’école, pas de scène à apprendre, ni tragédie ni comédie à jouer. Pourtant il s’agissait bien de jouer. La méthode que proposait Goris était constituée, outre un ensemble d’exercices corporels, d’une série de mises en situation, d’exercices de mimétisme qui ne relevaient ni du mime, ni du théâtre parlé. Il s’agissait, pour nous mudristes, d’observer, de ressentir et de restituer la matière dont sont faites les choses, la couleur d’un fruit, la manière dont vivent les petites gens ou les leaders orgueilleux. Je me souviens de scènes au marché aux chevaux de Vilvorde où, réveillés avant l’aube, grelotant de froid et pestant un peu contre Goris hilare, nous observions les jeux entre malicieux maquignons et clients attentifs, l’énervement des brabançons piaffant ou les marchandes de caricoles caricaturales… Personnages dont, la semaine suivante, nous devions retrouver les gestes, les attitudes, les cris et grimaces. Pour Goris, le geste quotidien était primordial et il nous demandait de passer par la forme nécessaire à ses yeux car « sans elle pas de fond, pas de sens ». Avec lui, nous vivions une expérience théâtrale collective dont la fin en soi était l’ouverture, la disponibilité de corps et d’esprit indispensables à tout acte d’art vivant. Cette méthode a nourri bon nombre d’interprètes et de créateurs issus de Mudra.

    Mettre l’accent sur le corps

    Goris avait ses élans, ses admirations, ses dégoûts, mais jamais il ne nous les imposait. Il désirait plutôt nous engager à choisir, à aiguiser notre sens critique. Érudit, passionné de théâtre, de littérature et des faits du monde, il était avant tout passionné par la transmission, par la jeunesse qui grouillait autour de lui. Un rien iconoclaste, provocant, il nous proposait de l’être. Ogre rigolard et tonitruant, grouillant d’imagination et de débordements, il permettait les nôtres. Il nous encourageait tous, au-delà des fondamentaux du théâtre, à nous découvrir, se mettant au service de ce que nous souhaitions devenir : danseur, comédien ou chanteur, créateurs et saltimbanques de tout genre.

    En 1970, rejoignant Béjart pour le projet du futur Mudra, n’avait-il pas dit : « La danse avant tout, il faut mettre l’accent sur le corps ! Moi, en tant que prof de théâtre, je vais leur inventer une méthode pour ça, c’est à moi de me débrouiller. » ? Tu t’es bien débrouillé, cher Fons : ta méthode et ton humanité nous les portons encore en nous ! •

    Ancienne étudiante de Mudra, danseuse au Ballet du XXe siècle, Dominique Genevois a enseigné la danse au CNSMD de Lyon. Elle est l’auteure de Mudra, 103 rue Bara, publié aux éditions Contredanse.

    Témoignage

    Par Nicole Mossoux, danseuse chorégraphe

    « Fons fut celui qui, à Mudra, me fit sentir la place de l’impalpable dans le jeu théâtral. Il nous faisait pratiquer assidûment ses exercices, certes, mais il avait aussi un œil acéré pour détecter nos particularités à chacun. C’est un moment de la vie où on est en général si fragile et si incertain, assoiffé de réassurance ou en attente d’aiguillons, cela dépend, en tout cas de repères qui ne soient pas des principes généraux, mais des liens personnalisés, une écoute particulière.
    Merci, Fons, pour ta bienveillance éclairée.»

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