Hommages à Dominique Dupuy
C’est avec tristesse que nous relayons l’information du décès de Dominique Dupuy, survenu le 15 mars 2024.
« Beaucoup de danseurs qui meurent semblent emporter avec eux leur secret, mais il se trouve toujours un filament qui nous relie à ceux qui nous ont enfantés. » Dominique Dupuy, EHCREHCER TE ESNAD. Au matin de la recherche, in NDD info n°26 décembre 2003.
Né à Paris le 31 octobre 1930, Dominique Dupuy se forme notamment auprès du danseur et chorégraphe allemand Jean Weidt, un des pionniers de la danse expressionniste. C’est au sein de la compagnie de ce dernier qu’il rencontre Françoise Michaud en 1947. Depuis ils formeront un duo inséparable. En 1955, ils fondent l’Académie de danse et la compagnie des Ballets modernes de Paris, espace de recherche sur la danse moderne et la danse contemporaine, avec des créations novatrices et des collaborations avec des chorégraphes tel l’étasunien Jerome Andrews.
Ils jouent un rôle crucial dans la diffusion de la danse contemporaine en France et sont notamment à l’origine de festivals et structures de formation, dont le Festival des Baux de Provence, en y invitant entre autres Merce Cunningham, et les Rencontres internationales de danse contemporaine (RIDC), avec Jacqueline Robinson. Après la dissolution des Ballets modernes en 1979, Dominique s’investit dans la pédagogie et les fonctions ministérielles. En 1995, ils fondent le Mas de la danse à Fontvieille, lieu de résidence et de recherche pour danseur.euses et de rencontres et colloques à l’adresse d’un large public. Un an et demi après le décès de Françoise Dupuy, il s’éteint le 1er mai 2023, laissant un héritage immense au monde de la danse.
À leurs proches, nous associons toutes nos chaleureuses pensées ainsi qu’à toutes celles et ceux dont un filament les relient à Dominique et Françoise Dupuy.
L’équipe de Contredanse
Hellerau, salle des fêtes, aux alentours de 1915 © SLUB, Deutsche Fotothek
« Adieu et merci » à Dominique Dupuy
Un hommage de la danseuse et chercheuse Patricia Kuypers, également fondatrice de Contredanse.
Ma première rencontre avec Dominique Dupuy eut lieu lors du colloque « Autre pas » qu’il organisait à Aix-en Provence et qui proposait de relier réflexion et pratique, invitant aussi bien des artistes que des pratiquants des arts martiaux, des approches somatique ainsi que des philosophes, psychanalystes et penseurs de la danse à partager leurs savoirs. Ces moments d’ébullition, où la réflexion réverbérait sur la pratique et vice versa, où Laurence Louppe, Hubert Godard étaient invités à créer des ponts sensibles, nourris de leurs observations et de leurs connaissances, étaient absolument uniques et stimulants. C’est la raison pour laquelle une année plus tard, en 1993, nous proposions d’organiser à Contredanse une rencontre Autre pas, mettant ainsi en présence à Bruxelles Steve Paxton, Dominique Dupuy, Jacques Schotte, psychanalyste, Nicole Mossoux, chorégraphe et bien d’autres autour du thème « A l’écoute du corps, des sens, de l’autre et au-delà ».
D’autres occasions d’échanges m’ont amenée à le retrouver à Paris, dans son minuscule « loft » au-dessus du studio de l’école de danse. Ce qui frappait dans l’aménagement de ce petit espace privé, c’était la sensualité des veines du bois brut dont les courbes inégales façonnaient la table de cuisine à laquelle répondait l’épure ascétique de son espace d’écriture, un lieu comme sacralisé, où l’on ressentait l’intense activité de pensée, de recherche qui l’habitait.
Mais probablement que l’expérience la plus marquante vécue avec Dominique restera pour moi la visite que nous avons faite ensemble – une visite rendue à nouveau possible à l’époque par la chute récente du mur de Berlin – à Hellerau dans les vestiges de ce qui fut l’utopie créée par J.E. Dalcroze, ce temple de danse où Adolphe Appia fit aussi ses premiers essais de scénographie et de lumière de scène. À peine entrés dans ce bâtiment de colonnades de béton où l’imaginaire retrace sans peine l’incidence des lumières aux sources invisibles et dont les proportions, la hauteur spectaculaire, impressionnent notre sens de l’espace, j’ai vu les larmes couler doucement sur le visage de Dominique. Touché de pouvoir se relier par l’architecture de ce lieu mythique à une histoire fondatrice d’une forme de danse essentielle pour lui, Françoise Dupuy, sa femme, ayant été formée dans la lignée de Dalcroze dont la pensée sur le rythme et l’improvisation continuait de nourrir son enseignement et sa recherche.
Partager ce silence dans la résonance du passé, vibrer sensoriellement dans ce lieu fondateur d’Hellerau, pouvoir dire « tu » à Dominique quand tout le monde le vouvoyait, l’entendre me pointer le moment où, pour lui, j’étais le plus intensément reliée à moi-même, supporter ses caprices de diva car l’être sensible affleurait toujours sous la surface, saluer un maître qui ne cessa jamais de rester profondément danseur, au service de la danse, proche de l’émotion, même dans ses écrits les plus érudits, ce sont les quelques traits les plus vivaces que j’ai envie de partager au moment de saluer son départ. Et le remercier au passage de cet héritage qui, plus qu’un contenu, nous transmet surtout une attitude ouverte et déterminée d’inlassable artiste-chercheur.
Pour aller plus loin :
→ Autre pas, dossier « A l’écoute du corps » dans Nouvelles de danse n°17, octobre 1993
→ EHCREHCER TE ESNAD. Au matin de la recherche, Dominique Dupuy, NDD info n°26 décembre 2003.
→ La sagesse du danseur, Dominique Dupuy, Editions Jean-Claude Béhar, 2011
→ Visionner en ligne la conférence Autre pas à Bruxelles, juillet 1993